Jean-Hugues Oppel
Noir Diamant
Officier à la CIA, Lucy Chan a survécu à une explosion qui aurait dû lui être fatale. Comble de l’ironie, c’est l’agence qui l’emploie qui a décidé de cette frappe ciblée qui la condamnait. De quoi lui donner envie de passer pour morte et de disparaître. Mais il y a à la CIA une femme qui ne peut croire que Lucy soit une mortelle comme les autres. Son ancienne formatrice, Darby Owens, aujourd’hui sous-directrice à l’Agence, a bien l’intention de retrouver la jeune femme. Car un agent invisible, que tout le monde pense mort et qui ne figure plus dans aucun registre, peut parfois rendre des services inestimables. Justement, à la frontière franco-allemande, il faudrait aller voir ce qui se trame…
De manigances secrètes en combats explosifs, Jean-Hugues Oppel nous guide sur les traces de deux femmes qui jouent un jeu trouble sur l’échiquier des tractations internationales.
- Jean-Hugues Oppel est l’un des grands noms du thriller politique français. Il est également auteur de romans noirs, romancier pour la jeunesse, scénariste… Son roman Six-Pack a été adapté au cinéma. Il a été le lauréat du grand prix de littérature policière et du prix Mystère de la critique.
- Revue de presseUn thriller d’espionnage au féminin, haletant et passionnant.Le rythme est soutenu, le style percutant et riche, Jean-Hugues Oppel réinvente le roman d’espionnage moderne.
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« Seuls les morts ont vu la fin de la guerre. »
Platon
AVERTISSEMENT
Dans le monde quantique, l’existence des univers parallèles est un postulat envisagé quoique controversé. Ainsi, dans l’univers où se situe le déroulement des pages suivantes, il est parfaitement plausible que le président américain battu aux élections n’ait jamais été malade puisque la maladie n’existe pas ; ceux et celles qui connaissent déjà Lucy Chan ne seront pas surpris de la (re)trouver là où elle se trouve ; les autres le seront sans doute, mais trouveront très vite des réponses à leurs interrogations et poursuivront leur lecture sans handicap.
PLUS TARD
… mais par-dessus tout je suis une licorne
parce que la sous-directrice Darby Chelsea Owens
a raison
je ne m’appartiens plus
je suis sortie malgré moi du monde réel
j’en ai été enlevée arrachée extirpée pour devenir
un mythe
une chimère
une légende
je suis une légende
je suis…
je suis…
je
suis
Lucy
Rogue !
☠️ KitDik666
Quoi de neuf, gros !?
L’impression que l’économie ultra-libérale te prend à la gorge ?
Tu l’as dit, bouffi — et les bouffies aussi !
Alors suivez les messages avisés de votre nouvel ami Kit Dik deubeule oh sévene et vous serez sauvés… peut-être ?
C’est touitté KD007, yo man !
délire… délire images psychédéliques…
je n’ai pas fumé… enfin je crois…
non ça me revient… je… suis… Lucy… Rogue…
ils me poursuivront
me chasseront
une traque…
je dois devenir invisible.
méffacermévaporerpfuiiit
pfuiiit disparaître dispa…
je n’ai plus mon couteau
moncouteau
j’ai une arme à feu mais je dois
retrouver…
mon couteau…
je cogne
griffe mords crache feule
invincible…
je suis une panthère
une lionne une tigresse
chimère légende je suis une…
je suis… je suis Lucy Rogue…
mais je crois que je n’ai pas envie d’être Lucy Rogue.
UN PEU AVANT
QUARTIER HAUPTSTRASSE
FRANKENSTEIN
ALLEMAGNE
Lucy reposait au milieu du jardin.
Elle ne voyait rien. Elle n’entendait rien. Elle savait qu’elle devrait bouger. Ne pas s’attarder. S’éterniser. Mais quelques instants de repos avant. Encore une minute monsieur le bourreau. Devenir une légende n’est pas donné à tout le monde ; cela mérite un minimum d’égards, non ?
Elle bougera, pas d’inquiétude, elle en aura la volonté — mais il y avait cette petite voix dans sa tête qui lui chuchotait murmurait parlait par bribes de tout autre chose que de fuir…
j’ai dix ans
peut-être douze
voire moins que ça
je saigne pour la première fois
c’est un matin en me réveillant ça
j’en suis sûre il y a du sang dans
mon pantalon de pyjama la surprise
mais je n’ai pas peur maman m’en a
parlé ça fait un peu bizarre oui ça
pouvait me faire peur si ma maman
ne m’avait rien dit du tout du tout
c’est pareil pour les garçons je ne sais pas
je n’ai pas osé demander à mes frères j’aurais
bien voulu savoir il paraît que ça se produit
souvent le matin aussi chez eux le premier sperme
dans le pyjama ou les draps pour ceux qui dorment
tout nus je voudrais bien savoir je demanderais bien
à quelqu’un un jour ou l’autre sans doute un autre
et j’ai mal dans la poitrine ça va bientôt s’appeler
des seins les tétons les nichons les nibards les obus
l’obsession des mecs les nénés les lolos les doudounes
les pare-chocs et du monde au balcon de ce côté-là les
miens resteront de taille modeste le monde se serrera
en loggia de toute façon qu’est-ce que j’y peux rien
je n’ai jamais été jalouse des copines qui
les avaient plus gros et en étaient fières
certaines se moquaient de moi les œufs au
plat les piqûres de moustique les gants de
toilette et toi t’es tellement plate qu’on
pourrait te faxer (ou comment trahir sa
génération et de fait son âge à quelques
années près) je les ai toutes entendues
avant que ma poitrine elle finisse par
se développer un peu pas trop mais un peu
les hommes se comparent la verge les femmes la poitrine
comme si cette dimension de leur anatomie était vitale
à leur position sociale dans la chaîne alimentaire
mes poils poussent aussi c’est la vie
on en parlait entre filles à l’école et il y avait
celles qui savaient et celles qui ne savaient pas
on en parla encore plus au collège et plus tard au
lycée on ne parle quasiment plus que de ça parce
tout est là les seins les poils on peut lancer la
compétition mais quand je dis on ne parle quasiment
plus que de ça je devrais dire enfin presque parce
qu’on se met surtout à parler des garçons et il y a
celles qui l’ont déjà fait et celles pas encore mais
c’est pour bientôt et celles qui jurent qu’elles se
marieront vierges et moi qui me demande parfois si
je ne préférais pas les filles alors j’ai essayé
c’était à l’université elle s’appelait Tanya elle
était blonde je m’en souviens et je me souviens
aussi que ce serait ma seule et unique expérience
saphique pas de honte pas de dégoût sans regrets
c’était comme ça erreur d’aiguillage il me fallait
seulement essayer pour être sûre vérifier quoi
en fait on en parlait déjà avant des garçons
mon premier amoureux avait cinq ans une
très belle histoire d’amour elle a duré
le temps d’une année scolaire on s’est
embrassés sous le pont du chemin de fer
derrière chez lui un soir en rentrant
de l’école puis l’été est arrivé avec
les vacances à suivre chacun de son
côté fin de la belle histoire d’amour
Lucy Chan sursaute et ouvre les yeux.
Gémit.
Mais qu’est-ce qu’il lui arrive ?
Ces images en volutes qui se bousculent dans sa tête ?
Pourquoi elle pense à ça là maintenant ?
Ça…
Là…
Maintenant…
Le sang !
C’est ça, elle est blessée, elle saigne, c’est une hémorragie, ça fuit de partout, elle se vide, elle va mourir, elle saigne, bordel — et par une singulière association d’idées…
L’explosion.
Donc la ou les blessures d’où le sang.
L’effet de choc. L’effet de blast. Mais pas la mort.
Alors oui prendre le temps de souffler…
Cela s’améliore : les choses s’organisent un peu mieux dans son esprit. Ses pensées égarées mélangées brouillées retrouvent toutes leurs repères en bonnes places sur sa boussole cérébrale.
Lucy aime bien cette image-là.
Le déroulé de ses neurones est encore fragmentaire ; très dispersé. Mais de plus en plus cohérent dans son processus. Le flux va se rétablir au fur et à mesure de l’avancée inattendue du retour de ses souvenirs en cascade.
Le sang — ses premières règles.
L’enfant devenue femme dans son corps selon la formule consacrée mais rien qu’une adolescente en devenir dans sa p’tite tête de môme minette minouchette pour encore quelque temps.
Le cycle menstruel est en route. Un moment aussi important que troublant dans la vie d’une fille. Ou peut-être un traumatisme si, comme Lucy Chan, on n’a pas eu la chance de naître dans une famille d’esprit éclairé, ouvert sur les choses les plus intimes de la vie.
Pudique quand même, la famille de Lucy Chan, mais pas pudibonde coincée en mode puritain dans le domaine du sexe. On décrit souvent les Asiatiques comme réservés à l’extrême, ce qui n’est pas toujours faux. Pas toujours vrai non plus. La vie serait tellement plus simple si les humains fonctionnaient ainsi, oui/non comme blanc/noir ou bon/mauvais. La manichéisme est une impasse, en toutes choses. Confucius l’a peut-être dit, mais ce n’est pas parce que Lucy est en partie d’origine chinoise qu’elle doit le confirmer. Le doit ou le peut. Pour en revenir à la soi-disant pudeur asiatique, on pensera aux éternelles estampes japonaises et à un art érotique chinois tout aussi raffiné avant de perpétuer des idées reçues péremptoires.
Lucy Chan ne croit pas que l’on pensait à cela dans les salons de sa ville natale.
le diamant noir de Jean-Hugues Oppel