Yan Morvan, Pigalle
Livre photo
238 pages
a paru le 29 octobre 2020
ISBN 978-2-3588-7684-1
Yan Morvan

Pigalle

Livre photo
238 pages a paru le 29 octobre 2020 ISBN 978-2-3588-7684-1
Livre photo
238 pages a paru le 29 octobre 2020 ISBN 978-2-3588-7684-1

Yan Morvan est reconnu comme l’un des grands spécialistes contemporains de la photo de guerre, qui constitue ses premiers reportages. Il collabore à Libération puis, membre de Sipa Press, correspondant permanent de l’hebdomadaire américain Newsweek, il couvrira les principaux conflits dans le monde. Périodiquement, il revient en France et réalise des reportages sur les marges de la société. En 1994, il se consacre à une immersion à Pigalle, ses cabarets, ses sex-shops et autres boîtes échangistes. Il en ramène des portraits de personnages de la nuit, des images en couleur ou noir et blanc de l’envers du décor, des marginaux des trottoirs où se pressent hommes et femmes venus chercher le frisson de la transgression dans la nuit.

  • Yan Morvan est reconnu comme l’un des plus grands spécialistes contemporains de la photo de guerre. Membre de Sipa Press, correspondant permanent de Newsweek, il collabore régulièrement avec la plupart des grandes publications internationales.
    • Yan Morvan &  Kizo, Gangs Story
    • Yan Morvan, Larzac
    • Yan Morvan, Blousons noirs
  • Revue de presse
    La rue est un creuset pour la création, et moi, je m’adresse au plus grand nombre. Interview avec Yan Morvan
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    Les images sont la réalité, les mots sont la vérité – Un livre d’images comme un bout de l’enfer, des mots qui racontent et qui les suivent – Pigalle paysage du malheur humain, de ses faiblesses et de sa tragédie – humain trop humain…
    Je suis connu pour mes reportages de guerre, Liban, Afghanistan, Iran-Irak, Irlande du Nord, Rwanda, … J’ai assez bien rempli ma mission durant les années 80 : collaborateur régulier d’une grande agence, attaché aux magazines américains Newsweek et Time. Je suis un des acteurs de ce qu’on nomme les « Golden Years » du photojournalisme. Les institutions, musées, ministères, s’intéressent à moi, surtout à mes connections avec la presse américaine (correspondant permanent de Newsweek au Liban pendant près de quatre ans). J’affiche pas mal de prix prestigieux à mon compteur, World Press, Capa Special Award, Missouri Price, National Headliner… Père (heureux) de trois merveilleux enfants, je comprends très vite que le « hot shot » (première ligne) ne m’est plus réservé… Nous habitons au 6e étage sans ascenseur, un atelier d’artiste où vit ma compagne. Remercié par mon employeur un 1er janvier 1988, un jour où il neige dru, les trois petits avec moi, je me demande bien ce que je vais devenir. À 34 ans ma carrière semble terminée. Je rencontre Eric Neveu du magazine Lui qui me commande un reportage sur le monde du porno. Je vais pour la première fois dans un sex-shop pour me documenter. Je découvre un nouvel univers. Le pape du porno s’appelle Michel Ricaud, la star de l’écurie Marc Dorcel. Mon reportage lui plait, le flatte, et nous devenons assez proches. Je l’initie à la philosophie de Jürgen Habermas, la distinction entre la morale et l’éthique (dans une perspective Kantienne), qui le rassure et il m’invite régulièrement à manger un pied de cochon dans un restaurant ultra-nationaliste du quartier de l’Opéra (il se dit membre de la Luciferienne société Wicca).

    Un peu plus tard, avec Jean-Marc Barbieux, rédacteur croisé au mensuel Globe, nous décidons de commencer une grande enquête sur l’univers.du X1. Il est beau gosse, c’est une bonne carte de visite dans ce milieu. Je lui présente Michel Ricaud qu’il trouve assez dégoûtant. Le côté trash du projet convient bien à ses aptitudes de dandy punk parisien. C’est l’époque du porno chic ! Au début des années 90 subsiste le spectre du SIDA, les années terreur, mais la fête doit reprendre et le modèle des films X américains, avec gros budget et filles splendides va trouver un nouveau public de jeunes hédonistes friqués, pré-millenials, ni veggies ni écolos mais libres d’esprit et de corps qui se la jouent décontractés – Sex is fun. Thierry Ardisson lance sa revue Interview, Newlook suit de près, Penthouse et Lui cartonnent. Avec Barbieux on nous donne une page tous les mois sur le « Monde du Sexe » (je suis le pink doctor) dans Entrevue (le mensuel d’Ardisson avait dû changer de nom après les menaces de procès venant des ayant-droits de Warhol). On devient les pros du c… Entrevue, Newlook, Penthouse, et même Actuel et Le Monde font appel à nos services de têtes chercheuses de la nouvelle économie sexuelle. Un pote photographe, Patrick Frilet, rencontré pendant les événements d’Irlande du Nord en 1981, me propose de travailler en binôme sur certains sujets. Je suggère Pigalle, nourri de cette toute nouvelle littérature et curieux d’en connaître les dessous. Nous avons nos entrées à Paris-Match. Rendez-vous est pris avec Michel Sola, le rédacteur en chef photo pour lui exposer notre projet commun : raconter Pigalle ! Leurs locaux sur les Champs-Élysées sont situés au 5e étage d’un immeuble haussmannien, avec sur le même palier les rédactions de Newlook et Photo où je publie régulièrement. Difficile d’accès pour les non-initiés, Paris-Match devient un passeport, avec la bénédiction et l’autorisation de Mme Hélène Martini, l’impératrice de Pigalle, toujours bien servie par l’hebdomadaire. Je vais passer plusieurs semaines dans les lieux emblématiques de Pigalle. L’accès est parfois difficile, l’anonymat y règne ; les filles qui se produisent sur scène, certaines qui vont au-delà, n’aiment pas se raconter. C’est un job provisoire. Jamais un métier. Le racolage dans les rues est interdit et les passes se font discrètement, dans les lieux privés de certains bars de nuit ou dans les hôtels du quartier où les entraîneuses ont leurs habitudes. La loi française (1983) interdit le racolage : « La prostitution n’est pas interdite sauf lorsqu’elle porte atteinte à l’ordre public. » Mais les dispositions sur le racolage (loi sur la sécurité intérieure de 2003) l’interdisent de facto, au moins dans ses manifestations visibles, c’est-à-dire sur les trottoirs. Le Pigalle des chromos de la littérature et du cinéma, avec ses filles qui vous aguichent sur les trottoirs va s’en trouver transformé. Le Sida crée un vent de panique et limite les contacts trop faciles. Le port du préservatif devient une obligation et les clients se font de plus en plus rares. La prostitution « sauvage » et sans contrainte émigre sur les boulevards extérieurs, les bois de Vincennes et de Boulogne. Montmartre se transforme peu à peu en une destination touristique à l’usage d’étrangers attirés par l’aura du nom et prêts à se faire plumer pour un peu de frisson et de fantaisie. Les rumeurs sont la règle, tel établissement est protégé par les condés (police), la drogue se vend, elle y circule librement. Les Russes ont remplacé les Corses et les règlements de compte n’ont plus cours. Les « bars à bouchon » (les filles sont rémunérées au nombre de bouteilles vendues (les bouchons) deviennent des lieux d’arnaque où les fins de nuit sont bien difficiles pour les clients alcoolisés... J’ai mes entrées chez Michou, anciennement madame Arthur, la scène parisienne où se produisent les plus élégants travestis de tout Paris. Le sujet n’est pas publié, j’assiste à la mercantilisation de Pigalle et l’afflux de touristes venus du monde entier pour se rincer l’œil et vivre des émois bien ordinaires. Un lieu retient mon attention : le Sexodrome, tentative d’établir un hypermarché du sexe où chacun peut réaliser ses fantasmes et déviances dans une atmosphère « cool et décontractée ». Nous sommes en 2004 et le mensuel Max me commande le sujet. Pigalle fascine, Pigalle attire, Pigalle fait peur. Comment en est-on arrivé là, simple destination touristique sans danger comme l’Opéra de Paris et la tour Eiffel, le Pigalle de Toulouse-Lautrec, de Mistinguett, de La Goulue et de Valentin le Désossé, le Pigalle des frères Guerini, de Jo Attia, de Pierrot Le Fou ? Un retour en arrière s’impose.