Antonin Varenne
L’Artiste
Lauréat du Prix Rive Gauche à Paris
2001. Les nuits parisiennes voient naître un nouveau monstre. Un serial killer s’en prend aux artistes, transformant chacune de ses scènes de crime en œuvre mêlant esthétisme et barbarie. L’inspecteur Heckmann, flic vedette du moment, se retrouve en charge de cette très médiatique affaire et se lance dans la traque. Mais bientôt il lui semble que tous ces crimes ne sont qu’un moyen pour le tueur de jouer avec lui…
Avec ce roman policier, Antonin Varenne révèle une fois de plus son incroyable talent à nous entraîner dans une course infernale où ses personnages doivent lutter contre leurs propres démons autant que contre le fracas du monde.
- Né à Paris en 1973, Antonin Varenne travaille en Islande, au Mexique et, en 2005, s’arrime au pied des montagnes Appalaches où il décide de mettre sur papier une première histoire. Revenu en France, il s’installe dans la Creuse et consacre désormais son temps à l’écriture.
- Varenne restitue avec une poésie vibrante la lumière et les ombres de la ville.Des personnages attachants, captivants ! Un excellent polar que vous ne lâcherez pas.Ce polar est drôle, accrocheur, impertinent, malin et sacrément bien écrit. Vite, le prochain roman d’Antonin Varenne !On vit cette traque au plus près du flic jusqu’à un final surprenant. Antonin Varenne a ce talent de conteur : il sait mettre de l’humour et de l’action au cœur de l’intrigue.
Dans un Paris en pleine crise des banlieues, L’artiste offre un polar social, intelligent, à l’humour décapant avec une figure d’inspecteur originale qui pourrait presque être un cousin éloigné du Benjamin Malaussène de Daniel Pennac tant son caractère quelque peu lunaire et malchanceux en fait un personnage attachant et atypique. Un roman vivement enthousiasmant à la poésie singulière.
Une course-poursuite dans un Paris noir éclairé par l’écriture poétique d’Antonin Varenne et son art du détail. Une lecture dont vous tournerez les pages à toute vitesse et que vous quitterez avec regrets ! Grand coup de cœur !- téléchargez l’extrait
Paris grandit haubans de soleil balayaient les rues et les toits de zinc, faisaient briller les vitres des vieilles huisseries, et passèrent un instant sur un vieil immeuble de trois étages aux enduits fissurés. C’était un morceau usé du quartier, coincé entre deux barres neuves de béton, une dent cariée sur laquelle on continue de mâcher. De ses gouttières en dentelle, brill Bar du Matin, restèrent accrochées les couleurs d’un lever de soleil peint à la main. Le nom de l’établissement était aussi peint à la main, en lettres dégoulinantes, par un artiste local payé au verre. Devant l’entrée, un grand homme maigre agitait ses longs bras tatoués. Deux flics en uniforme l’encadraient, eux-mêmes cernés par des parasols Kronenbourg déchirés, des tables et des chaises renversées, couverts de gouttelettes argentées. Entre les éléments épars du mobilier chaviré, un sac caoutchouteux, noir et luisant, gisait. Deux hommes en blouse blanche déposaient sur un brancard une jeune femme inanimée. Le trottoir était mouillé, gras et glissant. Autour de la terrasse foudroyée, une poignée d’agents nerveux contenait la foule qui débordait sur le boulevard. On se tordait le cou et on se bousculait pour voir. Un véhicule de réanimation du SAMU s’éloignait sirène hurlante.
De l’autre côté du boulevard de Ménilmontant, là où finit Belleville et où commence Paris, un vieux coupé Mercedes noir se gara. Un homme blond, costume clair et tête haute, en descendit et traversa la chaussée tête haute. Virgile Heckmann fendit la foule en brandissant sa carte tricolore, un agent du cordon s’écarta pour laisser le lieutenant entrer dans le cercle. La confusion y régnait. Heckmann fit signe à un jeune agent, qui se faufila entre les meubles valdingués et se présenta au rapport, les doigts sur ses coutures de pantalon. Le bleu connaissait le lieutenant de réputation ; protégé du ministère, appelé à une grande carrière. Heckmann, flic sans humour.
— C’est pas beau, lieutenant. Une fille qui a tenté de se suicider. On ne savait pas qui appeler.
Le jeune flic était émotif. Heckmann jeta un coup d’œil à la femme inconsciente qu’on roulait dans un véhicule d’urgence. Il ne comprenait pas non plus ce qu’il faisait là, les suicides ne le regardaient pas, encore moins ratés.
— Mais comme un des deux enfants est mort, on s’est dit que c’était pour vous.
Heckmann se retourna. Pourquoi n’avait-il pas remarqué plus tôt le sac noir ? Parce qu’il semblait vide, à peine rempli par le corps à l’intérieur ? Il observa encore, refit le compte des acteurs, leva les yeux vers les fenêtres, les baissa sur la terrasse éclatée. Le jeune gardien de la paix avait les lèvres blanches. S’il ne l’avait déjà fait, il allait vomir.
— L’autre gamine est mal en point, elle est déjà partie à l’hôpital. La mère est inconsciente. Elle a sauté du deuxième, sur la terrasse, avec ses deux mômes dans les bras, lieutenant.
Virgile Heckmann accusa le coup, serra les dents.
— CRS de Belleville. Dispersez la foule.
La netteté de l’ordre redonna un peu d’assurance au bleu. Le soleil repassa sur la terrasse et l’immeuble, soulevant les parfums de la ville mouillée, mélange d’hydrocarbures, de cuisine et de poubelles. Le SAMU emporta la mère, sirène à plein volume. Heckmann marcha jusqu’au sac, s’accroupit et tira sur la fermeture Eclair. Un gamin de trois ou quatre ans, crâne défoncé, baignant dans son sang que le plastic retenait précieusement, l’empêchant de se mêler aux odeurs du trottoir.
Rond-point du métro de Ménilmontant, trois J5 croisèrent le véhicule du SAMU. Les gros bras de la Compagnie Républicaine de Sécurité se déversèrent sur le boulevard, bousculant sans retenue Chinois, Kabyles, des clochards et les badauds, les étudiants à vélo et les premiers journalistes. En cinq minutes, vingt mètres de trottoir devinrent un désert quadrillé. Autour du vide, le flux humain continua de s’écouler, contournant la ligne de casques muets et de boucliers en plexiglas.
Heckmann entra dans le bar miteux. Des flics notaient les noms et coordonnées de trois autres témoins encore livides. Le patron, maigre et tatoué, était assis au bar et se grattait les cuisses. Dehors, un légiste et un type du labo étaient arrivés pour prendre mesures, notes et photos. Après avoir entendu le patron — qui n’avait rien à dire sinon que la mère était une habituée et qu’elle était tombée d’en haut —, Heckmann monta au deuxième étage de l’immeuble. L’escalier en bois sentait la pisse de chat et les marches étaient molles. Le palier n’avait qu’une seule porte, sur laquelle un brigadier bien en chair posait des scellés. En silence, il laissa passer le lieutenant dans l’entrée minuscule.
À droite, une salle de bains étriquée, baignoire sabot à l’émail écaillé. En enfilade, une petite cuisine en contreplaqué marron, table en formica jaune aux angles décollés, trois chaises dépareillées, des bols renversés, sur le linoléum des céréales dans une flaque de lait. À gauche, une porte donnait sur un salon-chambre-à-coucher chaotique. Lit d’enfant dans un coin, canapé-lit déplié, draps froissés, vêtements en boule et peluches. Un autre flic, penché à une fenêtre du salon, regardait en bas.
— Eh Bernard ! Tu crois que tu t’en sortirais, toi ? Peut-être, si tu tombais dans un verre de Ricard ! Ha ! Dis, ça y est, il est barré le Saint ? Oh ! Tu m’entends ?