Anna De Sandre, Villebasse
Roman noirPremier roman
224 pages
a paru le 19 août 2021
ISBN 978-2-3588-7779-4
Anna De Sandre

Villebasse

Roman noirPremier roman
224 pages a paru le 19 août 2021 ISBN 978-2-3588-7779-4
Roman noirPremier roman
224 pages a paru le 19 août 2021 ISBN 978-2-3588-7779-4

Au cœur d’une vallée s’élève Villebasse, entrelacs de rues centenaires où s’entassent bicoques et immeubles, comme partout ailleurs. Depuis quelques années, sans que personne s’en inquiète, une étrange lune bleue vient éclairer le ciel. Ceux qui arrivent ici en repartent rarement, restreignant leurs existences à l’enceinte de la ville. Villebasse est leur horizon et leur malédiction. C’est au commencement de l’hiver que Le Chien arrive en ville. Il rôde de parcs en ruelles, partageant tour à tour la vie des uns et des autres, tantôt protecteur, tantôt justicier.

Avec ce premier roman poétique et onirique, Anna de Sandre nous donne à lire la mythologie contemporaine d’un monde ravagé par nos maux ordinaires.

  • Anna De Sandre écrit des nouvelles et de la poésie qui ont été publiés aux éditions In8 et aux éditions Des Carnets du Dessert de Lune. Elle est également l’autrice d’albums jeunesse publiés sous le pseudonyme d’Anne Pym. Elle anime des ateliers d’écriture tout en étant libraire par intermittence.
  • Revue de presse
    Un style oscillant entre l’onirique et le familier, avec un regard d’une profonde humanité.
    Pour son premier roman, l’autrice arrive, malgré la constellation de personnages, à maintenir le fil narratif jusqu’à la fin grâce à des chapitres courts mais denses où l’histoire baigne, pour notre plus grand plaisir, dans des descriptions poétiques.
    Une œuvre réaliste et onirique, à la sombre beauté poétique, qui happe et emporte.
    Ici, le fantastique glaçant se frotte au fait divers sordide, les dépressions lentes aux sursauts brutaux, pour presque autant de personnages que l’on trouvera de chapitres – tous baptisés entre parodie joviale et poésie brute.
    Anna de Sandre tient avec son roman la chronique d’un bourg ordinaire, dresse le portrait de ses habitants, sans complaisance ni condescendance, et nous fait sentir comment le fantastique peut naître dans un pays où les gens s’occupent de leurs oignons.
    On retrouve la plume de la poétesse dans des phrases finement ciselées, des mots soigneusement choisis pour le moindre détail. Un livre envoûtant.
    Anna de Sandre a créé le dédale qui avale ses personnages de façon atypique. […] Les vingt premières pages du livre sont déjà merveilleuses d’originalité en ce sens.
  • Un vrai coup de cœur à l’ambiance particulière ! Des personnages très attachants et un roman choral plein de ressources le tout porté par une très belle plume.
  • CHAPITRE I

    Un clerc significateur en proie aux éléments

    Depuis que Le Chien était entré dans Villebasse, aux premiers jours de cet hiver particulièrement froid, on avait le sentiment incongru que la mort survenait davantage qu’à l’habitude ici, et plus qu’aux alentours. Ce n’était pas remarquable par tout le monde, mais tout de même, la coïncidence était citée au Ventre de l’ogresse après que les clients les plus fidèles avaient claqué leur monnaie de la semaine en méchantes bières et qu’il ne leur restait plus qu’à prolonger la conversation pour rester encore un peu.

    Par exemple, Cédric Volta avait perdu son oncle Vincent à la chasse au lièvre un jour de neige: les setters anglais avaient rebroussé chemin pour chercher une aide qui arriva trop tard, l’homme était déjà mort. Une crise cardiaque. Son âme en s’échappant le laissa mourir sans un cri, car la dernière volonté de l’oncle Vincent, ou plutôt son ultime réflexe, fut de garder son honneur jusqu’au bout en n’alertant pas le gibier. Et le fait est qu’une hase gestante qui s’en venait un peu plus tard varia sa course pour tracer à cinq paumes de son corps en laissant de petites crottes.

    Sébastien Chapelle garda pour lui que Dieu avait exaucé ses prières, car nul n’avait besoin de savoir que Vincent Volta lui avait planté des cornes; Cédric récupéra ses chiens, de braves bêtes à l’arrêt ferme, redoutables avec les bécasses.

    Autre fait divers qui eut lieu quasiment en suivant: la petite Marion des Alliot échappa à la surveillance de ses parents et fila droit à la rivière où la nouveauté d’un embâcle de glace l’attira sur la surface gelée qui céda comme une branche.

    Le reste fut plus ordinaire, à part la quantité. C’est à la mort du clerc significateur que le rapprochement se fit à rebours, s’insinuant dans les esprits avec la rapidité d’une légende; or, chacun sait que, lorsque le soupçon devient croyance puis conviction, ce n’est plus la peine de chercher une preuve.

    Villebasse était une nasse de bois et de pierres sur une terre ferme au fond d’une vallée fertile qui avait grandi machinalement dans le Sud-Ouest de la France sur un ancien oppidum grâce à un faisceau de voies romaines, de forêts et de cours d’eau. Son pouvoir de sédentarisation avait opéré dès la période du néolithique, et nul besoin d’étudier ses artéfacts archéologiques pour valider cette hypothèse: elle semblait avoir été construite pour fixer les instables. Depuis toujours, elle attirait des gens à la vie nomade qui ne voulaient ou ne pouvaient plus la quitter une fois qu’ils y avaient passé une première nuit, car la petite ville semblait dotée de propriétés prodigieuses.

    Certains hermétistes affirmaient qu’elle avait été un haut lieu de pratiques magiques qui visèrent, avec succès, à la rendre si bien invisible qu’elle n’avait jamais intéressé les rois ni les chefs belliqueux. Les livres d’histoire n’y situaient aucune bataille. La modestie de son apparence leurrait les plus envieux; elle était parvenue jusqu’ici sans héritage ni subvention sur la seule béquille de la bonne volonté de ses habitants. Des gens de peu, certes, mais qui – à force d’engendrer toujours au même endroit sans jamais que leurs héritiers s’installent ailleurs ou rarement –, parvinrent à la borner et lui donner les bâtisses et les réseaux de rues que les illustres membres d’une dynastie auraient pu lui envier.

    Quand la neige recouvrait Villebasse, bâchant la terre et poudrant les toits comme un glacis, alors ses habitants estimaient qu’il était l’heure de la remballe: tout s’était joué aux saisons précédentes, la pièce était terminée et il fallait rentrer. Il n’y avait pas eu d’applaudissements et le montant acquitté dès l’entrée – c’est-à-dire aux jours actifs du printemps –, devait leur donner le droit de quitter la salle de spectacle dans le calme de l’hiver nouveau.

    Bien qu’ici la neige servît à effacer les ardoises et à minorer la valeur des pensées débraillées, les gens de Villebasse préféraient se perdre dans l’été parvenu et dans la vulgarité de l’effort et de la sueur, alors qu’ils pouvaient rhabiller leur cœur et leur conscience à l’ombre des murs blancs bâtis sur les pelletées amoncelées et tassées, pour peu que s’apaiser et récupérer des forces pût encore les intéresser après l’enchaînement trivial des pertes et des renoncements qui tatouaient à coups de sanglots rentrés le palpitant et les visages.

    Les hommes s’épuisaient dans le vortex des heures consacrées à l’unique entreprise qui les embauchait régulièrement, et quand celle-ci les mordait un peu trop fort aux lombaires, aggravait leurs céphalées et les faisait se désespérer devant le montant des charges soustrait à celui de leur salaire, alors ces hommes s’engouffraient dans la gueule des six cafés de Villebasse qui les avalaient pour les recracher avec de nouveaux verres à leurs lunettes, épais comme ceux qu’ils avaient éclusés en quantité suffisante pour avoir un nouveau point de vue, qui était de croire, le temps du retour, que chacun d’entre eux possédait un royaume où le directeur des ressources humaines était enfin devenu son vassal. Leurs femmes les dessaoulaient sitôt le seuil franchi avec ce qu’il fallait d’injures à leur bouche grimaçante et de fatigue à leurs yeux mornes pour qu’ils se sentent également en terre occupée chez eux.

    À Villebasse, la circulation des corps n’était pas mixte: celle des femmes se faisait à pied ou bien elles roulaient en monospace pour conduire les enfants à l’école, faire des heures de ménage chez les vieux ou se mettre en caisse pour un employeur de supérette qui avait supprimé des postes en rachetant le commerce à son prédécesseur. Celles qui avaient fait quelques études étaient secrétaire de mairie ou assistante juridique, et aucune de ces femmes, alors que toutes avaient pourtant la télé, ne semblait savoir qu’un autre choix était possible, c’est-à-dire autre que ce qu’elle croyait que l’on attendait de son genre.

    La dentiste, l’avocate et la podologue étaient les exceptions confirmant la règle.

    Les enfants de ces hommes et de ces femmes, eux, s’abîmaient devant les écrans et derrière la casse de Cazenave à coups d’ecsta, de bière et de baise brutale entre des containers et la palissade du démonteur.