Jean-Hugues Oppel, Total Labrador
RomanThriller
288 pages
a paru le 7 février 2019
ISBN 978-2-3588-7273-7
Jean-Hugues Oppel

Total Labrador

RomanThriller
288 pages a paru le 7 février 2019 ISBN 978-2-3588-7273-7
RomanThriller
288 pages a paru le 7 février 2019 ISBN 978-2-3588-7273-7

Quel lien existe-il entre les éliminations ciblées des ennemis de l’Amérique par drone, la soif de vengeance d’un homme trahi par ses supérieurs et la nomination à la tête de la CIA par un clown mal peigné d’une nouvelle directrice sachant ce que torturer veut dire ? Une femme, apparemment. Lucy Chan, analyste à la CIA fraîchement promue officière, est confrontée au classique dilemme de la cause à défendre et des moyens à employer pour le faire.
Roman noir, roman d’espionnage et thriller politique tout à la fois, Total Labrador nous entraîne de la République du Congo à Bangkok, de la Virginie à l’Allemagne, sur les traces de quelques hommes qui tirent les ficelles des manigances mondiales.

  • Jean-Hugues Oppel est l’un des grands noms du thriller politique français. Il est également auteur de romans noirs, romancier pour la jeunesse, scénariste… Son roman Six-Pack a été adapté au cinéma. Il a été le lauréat du grand prix de littérature policière et du prix Mystère de la critique.
    • Jean-Hugues Oppel, Noir Diamant
    • Jean-Hugues Oppel, 19 500 dollars la tonne
  • Revue de presse
    Un roman palpitant, entre humour et tragédie, secrets informatiques et scènes d’action, mené à un rythme d’enfer.
    Ancrés dans la triste réalité de notre monde, les romans de Jean-Hugues Oppel décryptent avec minutie le fonctionnement des puissants et des forces secrètes. Au-delà de l’intrigue, passionnante, Oppel impose son style riche et limpide et son sens du dialogue percutant.
    On retrouve le troublion Jean-Hugues Oppel qui met son petit grain de poivre dans des missions ultra-secrètes, ultra-sérieuses.
    Tout à la fois roman noir, thriller et espionnage. Parfaitement informé et maîtrisant une documentation aussi exacte que rigoureuse, Oppel s’attaque au monde trouble et terrifiant d’une CIA occupée à l’élimination des ennemis de l’Amérique (nombreux !) par drones interposés.
    Retour gagnant pour un Oppel corsé.
  • téléchargez l’extrait

    Mission de merde...

    Les hélicos brassent de l’air en approche basse au lointain. Ils sont deux. À l’oreille, pas les derniers modèles furtifs. Si moi je les entends, tout le monde les entend.

    Mission de merde.

    On dit qu’il existe plusieurs catégories de missions au sein de l’Agence. Quand on parle d’opérations sur le terrain, celles-ci se divisent entre les "Confirmez ou Infirmez, Agissez" et les "Clairement Impossible, Annulons". Au-delà du jeu des initiales, c’est l’assurance que vos supérieurs hiérarchiques ont confiance dans votre jugement quand vous affirmez que les informations préliminaires relèvent du classement définitif de l’action envisagée dans la seconde catégorie. Les missions impossibles qu’on réussit n’existent qu’à la télévision et maintenant au cinéma. Après le fiasco de la baie des Cochons et du sauvetage calamiteux des otages de l’ambassade à Téhéran, les grosses têtes pensantes de l’Agence y réfléchissent à deux fois avant d’envoyer les agents sur des opérations aux chances de succès douteuses.

    Y réfléchissaient.

    Parce que depuis peu ce bel et prudent précepte a pris du plomb dans l’aile mieux qu’Eagle claw en vol rase-mottes au-dessus des sables iraniens. L’éthique de la hiérarchie n’est plus ce qu’elle était.

    Pour preuve, la présente mission de merde.

    La merde classe A.

    L’évidence après la suspicion. Tout qui se répond, se confirme et s’infirme. Le j’en ai marre d’avoir raison à remâcher jusqu’à plus soif. Les grosses têtes se croyant intelligentes de l’Agence ont pourtant été averties. Elles n’ont tenu compte de rien. La mission est maintenue. Accusez réception, exécution.

    J’exécute, au milieu des éléphants.

    Des éléphants partout.

    Des petits, des gros, des grands. Des kilomètres de trompes au mètre carré. Des collines grises semées au milieu du vert émeraude de la jungle, avec comme parfois l’impression que la forêt bouge en prophétie macbethienne. Le Springstine Medical Center vétérinaire n’accueille que ces grosses bêtes.

    Phobiques des pachydermes s’abstenir.

    Je ne suis pas phobique.

    Je ne suis pas fan non plus.

    La passion Babar a sauté une génération. Il y avait cette vieille tante dans ma famille du côté de ma mère qui avait la collectionnite éléphantesque aiguë. Elle en avait des étagères pleines et autant de caisses remplies à ras bord. Des petits, des gros, des grands; des beaux et des laids; des en peluche, en bois, en plastique, en ivoire véritable, en fer forgé; des gonflables, des brodés sur napperon, des au crochet sur édredon, des sérigraphiés sur taie d’oreiller, serviette éponge ou tapis de bain; des mosaïques à peindre; des peints, vernis, et encadrés; des photographiés au format poster et reproduits en réduction sur des étiquettes de bouteilles de bière. On a tout jeté ou donné à sa mort. Surtout jeté.

    Les hélicos se rapprochent.

    Les rotors chuintent. Les pilotes ont réduit leur vitesse pour faire moins de bruit. Un bon point pour eux. Mais ça retarde la fin de cette mission merdique d’autant.

    Ici, ceux qui s’occupent des pachydermes sont assez sympas dans leur ensemble. Le petit personnel local et les mahouts plus que tout autre, parce qu’on ne surnommait pas le Laos "Pays du million d’éléphants" pour rien. Ma couverture auprès des médecins semble tenir, tant qu’on ne me demande pas des choses très techniques ou trop pointues question pratique vétérinaire. J’ai pu introduire sans peine mon matériel de mission, artillerie et communication. On n’aurait aucune raison de fouiller mes quartiers, mais je ne suis pas à l’abri d’un service de ménage un peu trop zélé.

    Il n’est que temps de foutre le camp.

    Mon trio de barbichus loge dans une remise du hangar à provisions médicales qui longe l’arrière des enclos de convalescence. Déserts, on pourrait y poser un hélicoptère le temps d’embarquer les clients. Comme de bien entendu, les enclos sont occupés par une dizaine de pensionnaires barrissants qui empêchent tout tentative d’atterrissage. Autour de la zone ce n’est que la jungle, entrelacs de buissons et forêt très dense. J’ai vu un espace dégagé qu’on peut à la rigueur qualifier de clairière, cent mètres plus loin, accessible sans avoir besoin de se frayer un chemin au coupe-coupe. Un point Alpha de regroupement pour récupération et extraction potable. Pas de quoi mettre un Huey au sol, mais le faire descendre assez bas au-dessus de l’espace dégagé sans se prendre les pales dans les arbres alentour. Il faudra passer en vol stationnaire pour nous hélitreuiller un par un.

    Mission de merde.

    Je ne sais pas si je l’ai déjà dit ?

    Les trois prétendus terroristes dissidents ne sont pas des farouches kamikazes attendant d’accéder au sacrifice suprême comme un loubavitch la venue du Messie ou un paysan bengali la mousson. Ils fument et boivent. Ils se marrent. Ils s’emmerdent. Ils n’ont pas inventé la machine à dénoyauter les pois chiches. C’est pourquoi ils sont plus barbichus que barbus. Le choix de cette planque pour des musulmans, une religion ultra minoritaire dans ce pays bouddhique, m’est toujours inconnu. Les équipes de vétos font à peine attention à leurs hôtes de passage. Certains membres du personnel toutes activités confondues ignorent même leur présence dans le hangar. En recoupant certaines infos glanées autour d’une tasse de thé à défaut de café, il paraîtrait que l’un des trois connaît un toubib de l’hôpital de brousse, par l’entremise d’un cousin à lui qui connaît le beau-frère d’un oncle par alliance cheik yéménite remarié à une cousine saoudienne généreuse donatrice toute dévouée à la cause des éléphants laotiens menacés d’extinction et sauvegardés ici au Springstine Medical Center, fondé par Robert "Bob" Springstine III qui lui a donc donné son nom, cousine au grand cœur qui ne soucie pas de savoir comment prient ceux qui soignent les pachydermes.

    Un truc comme ça.

    Un truc de plus qui sent la pagaille et la galère plutôt que l’opération rondement menée.

    L’écouteur de la radio portable clipsée à ma ceinture crépite. Friture. Il y a des parasites sur le canal d’urgence que j’ai laissé ouvert pour être joignable à tout moment par le commando SEALs qui arrive. À n’utiliser qu’en cas d’extrême nécessité; la liaison ne peut être sécurisée. Malgré le faible réglage du volume, je perçois distinctement l’ordre d’annulation de la mission répété jusqu’à l’accusé de réception fatal.

    Fatal pour moi.

    Parce que je n’en crois pas mes oreilles.

    L’ordre a été lancé clair et net en phonie.

    La communication n’est pas cryptée. Le chef de mission utilise un canal non protégé. Et ce fils de pute n’est pas seul sur les ondes car des lumières s’allument soudain dans le hangar à provisions médicales.

    Toutes les lumières extérieures de l’hôpital de brousse aussi, à l’initiative du toubib contact de mes barbichus qui surgit sur la véranda du bâtiment principal, visiblement alarmé.

    On y voit comme en plein jour.

    Je vais avoir du mal à expliquer ma présence couché à plat ventre dans l’axe du hangar, une radio militaire dans une main et un .45 automatique US Gov. à réducteur de son dans l’autre.

    J’entends distinctement les hélicos qui changent de cap sans plus s’embarrasser de faire du bruit. Les pales des rotors vrombissent comme des éoliennes en surrégime. Regroupement au point Alpha pour récupération et extraction, c’est terminé.

    Personne ne m’a prévenu.

    Personne ne m’appelle non plus en ce moment.

    Silence radio.

    Je me souviens de Dominic Fartwater, mon chef de mission, qui m’avait souhaité bonne chance avec le sourire blanc perle large comme une assiette à soupe et la poignée de main chaleureuse du vendeur de voitures d’occasion qui vient de conclure une bonne affaire. Dorénavant je me souviendrai toujours de lui en tant que crevure d’envergure. Nouvelle appellation de mission foireuse sur le terrain à dédier au responsable des opérations quel qu’il soit: Connard Incompétent Absolu. Je me rappelle qu’il était secondé par une rousse, mon connard personnel. D’aucuns disent blond vénitien. C’était une logisticienne. Elle m’avait soutenu quand j’avais protesté du bien-fondé de la mission, si mes souvenirs sont bons.

    Mollement, mais soutenu.

    Elle m’avait paru digne de confiance.

    Alors que c’était donc pour la frime.

    Elle ne vaut pas mieux que l’autre. Peut-être même pire que lui parce que faussement compatissante, cette saleté de rouquine. La putain de rouquine. Je ne sais pas pourquoi je nourris soudain une flambée de haine pour cette fille, couché le nez dans l’herbe sèche épinglé par les lumières comme un papillon affolé cloué contre la paroi de verre d’un photophore.

    Familiarité de couleur, il faut croire.

    Le feu.

    Saloperie de rouquine.

    Mes trois barbichus sont sortis du hangar, aux aguets et armés d’AK-47 comme de juste. Ils regardent de tous les côtés. Ils se tiennent devant moi à portée de tir.

    Dans les deux sens.

    Mission de merde...

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