Marie Van Moere, Petite Louve
Roman noir
272 pages
a paru le 4 mars 2021
ISBN 978-2-3588-7734-3
Marie Van Moere

Petite Louve

Roman noir
272 pages a paru le 4 mars 2021 ISBN 978-2-3588-7734-3
Roman noir
272 pages a paru le 4 mars 2021 ISBN 978-2-3588-7734-3

La Corse. C’est là qu’Agathe va fuir après avoir entassé dans sa voiture leurs bagages et annoncé à sa fille qu’elles allaient prendre quelques jours de vacances. Cette chirurgienne sans histoire vient de rendre la justice elle-même. L’homme qui avait agressé sa fille, détruit l’équilibre de leurs vies, a été relâché, et elle lui a réglé son compte, définitivement. Mais ce type au casier déjà bien chargé, avait lui aussi une famille qui a l’intention de rendre les coups. Sur les routes de Corse s’engage alors une traque à mort où les femmes et leurs poursuivants se feront tantôt proies, tantôt prédateurs.
Dans ce roman noir au rythme implacable, Marie Van Moere nous offre une sorte de Thelma et Louise débridé où une mère et une fille accomplissent une vengeance qui les conduira sur les chemins les plus obscurs.

  • Marie Van Moere est née en 1977 à Pau. Elle passe sa petite enfance à Saint-Laurent-du-Maroni en Guyane française. Son enfance est marquée par de nombreux voyages. Elle vit aujourd’hui à Toulon et est l’auteur de deux romans publiés à La Manufacture de livres et dans la collection Equinox.
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    1.Enterrer

    Une nuit comme la dernière, sinon la première. Une existence agrippée à un manche de pioche. Nuit hors du monde conscient mais réalité de la peau à vif entre les pouces et les index. Prévoir, ne pas être désagrégée par la sanction judiciaire de ce qu’elle commettait. Dissoudre l’acte, en anéantir l’image, oublier la profondeur du trou. Elle avait tout envisagé, parcouru les lieux, et n’avait pas pris les gants ou les avait posés sur le toit du 4×4. Elle ne savait plus. Présente sans l’être.

    L’outil frappa une couche de pierres et décolla la paume. Elle poussa un cri et revint au terrassement. Piocher dans la caillasse, ouvrir la terre, soulager la douleur, ahaner. Personne ici. Les battements basse fréquence d’une boîte de nuit à ciel ouvert perturbaient l’harmonie du lieu. Elle pouvait bien gémir, elle ne dérangerait qu’elle-même.

    Juillet l’étouffait : deux heures du matin, vingt-six degrés. Dans la boîte, les danseurs ressemblaient sûrement à de la petite friture, bras agités de soubresauts, doigts malaxant les chairs jusqu’au bleu. Et la chaleur redoublait avec l’effort. Poser le manche contre le véhicule et ôter le débardeur. Elle saisit à nouveau la pioche et l’électricité nerveuse des plaies se fraya des tranchées jusqu’à la jointure de l’échine. Dans ce genre de cas, faire demi-tour relève de l’impasse. Elle attrapa le couteau de randonnée dans le vide-poches, découpa le morceau d’étoffe en deux parties, puis en bandes. La main gauche pansa la droite, la droite s’occupa de la gauche. Le travail reprit quand les bandages furent noués. Inspirer, piocher, expirer. Bientôt, la pelle.

    Elle évacua les pelletées et supporta l’écorchure tel Saint Barthélemy, vertu de la souffrance physique dans l’oubli du gluant. Elle lui a tiré une balle dans la tête alors qu’il était allongé à terre, persuadé de se faire sucer. En quittant la boîte de nuit, ils avaient roulé deux bons kilomètres sur les rares pistes des calanques pour s’entreprendre quelque part. C’est ce qu’elle lui avait fait miroiter dans le fond des yeux. Regard de louve que savent lancer les femmes, auquel les hommes ne résistent pas toujours. En guise d’étoiles, il avait un trou noir à la place de ce qui ne convenait assurément plus de nommer visage portrait au vrai par une élève de Bacon. Elle rit brièvement. Son corps luisant de sueur et de poussière frémit. Elle y était presque et parviendrait à l’enterrer, sa fosse atteignait le mètre de profondeur. Il lui semblait y être depuis une éternité. Au loin, l’Ouest et l’Est se préparaient en vue du combat lumineux de l’aurore.

    La balle n’était pas ressortie. Elle avait palpé avec application la couverture sur laquelle il s’était assis, mais, la douille mise à part, rien.

    Couché, il profitait pleinement du moment. La gonzesse du soir était un peu vieille, la bonne trentaine, il ne pouvait dire, mais elle avait l’air d’être plus chaude qu’une pucelle inconsciente sauf qu’elle avait refusé les chiottes. Elle lui avait même dit que sa chatte était aussi douce et lisse que celle d’une gamine. Il n’allait pas cracher sur l’occasion, enfin si. En trente secondes, elle descendit sur ses jambes, le frôlant de ses mains puis s’accroupit aux genoux. Trente secondes encore, le cliquetis de la boucle, le bruit mat des boutons qui sautent, le pantalon baissé sur les chevilles. Il esquissa le mouvement de s’asseoir pour se débarrasser de son futal mais elle l’en empêcha. Excité, le sexe gonflé par l’afflux sanguin des grands jours de chasse, il adora ça. Il la laisserait le dominer avant de lui montrer qui était le patron. Elle revint sur son ventre. Il ne vit pas son regard s’éteindre et se mettre à vibrer comme un essaim de frelons. Une seconde bestiale. Une autre seconde, la salope chercha quelque chose dans son dos. Il n’en reconnut l’éclat dans l’obscurité qu’une fois les deux mains autour de l’arme. La dernière seconde, sa tête explosa à la face de la nuit.

    La balle s’était logée dans l’os pariétal. Imprévu. Jamais elle n’aurait imaginé qu’il fut si physique d’ouvrir un crâne à la pioche. Celui-ci brisé, elle s’agenouilla derrière et y plongea les mains. La détermination ne tolérait pas le dégoût. Elle s’arrangea pour éviter les yeux, cura les reliquats de cervelle et les déposa sur le côté. Sa main glissait, elle eut le plus grand mal à dégager la balle du crâne. Quand elle y parvint, elle leva les quelques grammes de métal vers le ciel et en vérifia l’intégrité. Il s’agissait de ne pas confondre avec un morceau d’os englué dans la matière. Dans l’obscurité, elle vit simplement que ses mains étaient assombries jusqu’aux poignets, et se nettoya longuement au bidon d’eau.

    L’horizon oriental débordait les reliquats de ténèbres, prime lueur que nul n’aurait donnée victorieuse. Elle poussa le corps enroulé et sanglé dans la couverture au fond du trou, recouvrit le paquet par des paquets de cailloux et de terre et compacta l’ensemble en sautant dessus. Puis elle remit son jeans et enfila sa veste à même la peau, regarda ses mains, vérifia que rien ne traînait. Les bruits de la boîte de nuit s’étaient tus. Elle jeta un dernier coup d’œil à l’endroit et monta dans le 4×4 qui surplombait la ville. L’aurore était là, il fallait partir. Elle but toute sa bouteille d’eau et s’arracha à l’endroit une cigarette à la bouche.