, Mes gardes à vue
Récit
176 pages
a paru le 10 novembre 2010
ISBN 978-2-3588-7012-2

Mes gardes à vue

Témoignage d’un flic de la PJ
Récit
176 pages a paru le 10 novembre 2010 ISBN 978-2-3588-7012-2
Récit
176 pages a paru le 10 novembre 2010 ISBN 978-2-3588-7012-2

La garde à vue ? Au moment où le sujet fait couler beaucoup d’encre, un officier de police des stups de la police judiciaire apporte son témoignage. Un ton direct, incisif, des anecdotes sur le vif, un style qui change, une approche inédite sur cette procédure mal connue du grand public, loin des clichés et des fantasmes vus et revus. Stéphane Chaigneau explique pourquoi il est contre la présence d’un avocat pendant la garde à vue, pourquoi il s’oppose à l’enregistrement vidéo, mais aussi comment se mène un interrogatoire ou une perquisition. Il nous parle des relations des flics avec les magistrats, les avocats et les voyous. Aux antipodes d’un manuel formel et technique, le capitaine Chaigneau parle avec passion de son métier, de ceux qui le font, de « ceux d’en face aussi », et il apporte un éclairage différent sur ce qu’il connaît bien et dont il a une vision très personnelle et souvent étonnante.

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    Je fais probablement une connerie. Je sais. Je ne suis pas dupe. En écrivant ce bouquin, je ne me ferai vraisemblablement aucune nouvelle amitié. J’espère ne pas en perdre trop. Mes collègues me railleront, diront que j’écris n’importe quoi. Certains par jalousie. Parce qu’ils estimeront qu’ils auraient fait mieux. D’autres se trouvant sans doute meilleurs flics, penseront que ce n’était pas à moi de prendre la plume.

    Ceux qui bossent avec moi se poseront la question, après avoir lu quelques lignes : mais alors, quand il « sympathise » avec les gardés à vue, il ne fait pas semblant? Non, faire semblant, j’ai du mal. Ce n’est pas mon truc. J’ai beau me forcer parfois, je n’y arrive pas. J’aurais fait un très mauvais acteur de cinéma.

    Les voyous, ceux d’en face, me trouveront bien naïf, se diront que, quitte à être placés en garde à vue, autant que ce soit par ce guignol, on le pigeonnera plus facilement. Tant pis. Je cours le risque.

    Je veux croire cependant que par-delà les clichés imposés, ces lignes sauront toucher certaines personnes. J’y crois. Je parlais il y a peu de ce qui n’était encore qu’un projet, avec un trafiquant turc que j’avais en garde à vue. Pas vraiment un enfant de chœur. Un individu déjà mis en cause dans une affaire d’homicide et tout heureux d’apprendre que nous étions de la Brigade des Stups et non de la Criminelle. Il y a de plus en plus de règlements de comptes liés aux stups. Nous avions quelque peu « sympathisé ». Il m’a promis d’acheter mon bouquin, lorsqu’il sortira de prison. Dans quelques années.

    Je voulais aussi réagir à toute cette polémique savamment entretenue par beaucoup qui ne savent pas de quoi ils parlent, et par certains qui en profitent, dans des buts mercantiles ou politiques. Ils ont obtenu gain de cause. Le 30 juillet 2010, le Conseil constitutionnel a décidé que les principaux articles du code de procédure pénale régissant la garde à vue « sont contraires à la Constitution ».

    Le débat, que j’aimerais être un combat de la part de nos syndicats, devrait cependant se poursuivre pendant toute une année, puisque cette institution a laissé au gouvernement et au parlement jusqu’à juillet 2011 pour présenter un texte qui ne méconnaisse pas les droits garantis pas notre Constitution. Un combat, parce que c’est le taux d’élucidation des affaires qui est en jeu, et donc le minimum de vérité que nous devons aux victimes. Je ne suis pas sûr cependant que celui-ci aura lieu, car le parlement pourrait se prononcer à l’heure où j’écris ces lignes, sur le projet de réforme rendu public le 7 septembre par la Garde des Sceaux. Et puis il est très difficile à quiconque de se lever contre la création d’une « liberté » ou d’un « droit » supplémentaire. Même quand ils ne concernent que les délinquants ou les criminels.

    Mon devoir de réserve ? Je ne le méconnais pas. Je n’ai pas posé mon mouchoir dessus. Ou alors c’est un mouchoir imbibé de larmes. De celles qui découlent de toutes les attaques que nous subissons, nous qui pourtant nous contentons de faire notre métier. Un peu comme les heures, on peut dire des attaques que « toutes blessent, la dernière tue ». Je ne peux pas rester muet. J’écris en état de légitime défense.

    Ce n’était pas "un soir en septembre" et personne n’était "venu m’attendre". C’était quelque part en province. L’été. Il faisait beau. Ma femme m’avait encore traîné dans un de ces dîners mondains que j’abhorre. Je me retrouvais assis à côté d’une femme d’une bonne cinquantaine d’années, la bourgeoise de province typique, très éloignée des contingences ordinaires de la vie parisienne, et de la vie tout court. La sienne de vie, je l’imagine faite de rencontres nombreuses avec des gens inconnus la veille et oubliés le lendemain. De propos échangés sur les enfants qui, forcément, font de belles études. Ou sur le dernier handicap de son mari, champion de golf du week-end. Du moins, c’est ce qu’il lui raconte : ça justifie la douche qu’il a prise avant de rentrer à la maison. Lorsque je planquais à St-Germain-en-Laye, j’ai vu plusieurs fois des gars en short ou en survêtement, qui avait dû dire à leur femme qu’il partait faire un jogging, faire une halte dans une camionnette stationnée en forêt. Ils devaient rentrer ensuite en sueur et dire : « chéri, j’ai bien transpiré… ». Une vie remplie de mains serrées dans les soirées du Rotary, car tout de même, il faut bien se donner bonne conscience entre deux bouchées de foie gras et un verre de Sancerre. Ou de Sauternes, c’est selon. De toute façon, elle ne fait pas la différence.

    Nous étions donc assis côte à côte quand soudain elle se tourna vers moi et me dit, pleine de sollicitude ou de condescendance : "je vous plains".

    Ce n’est pas si fréquent d’être plaint. Il peut arriver d’être détesté, d’être jalousé. Parfois, c’est plus rare, d’être aimé, mais d’être plaint… De quoi au juste? J’ai une femme adorable, trois enfants qui font mon bonheur, et une grosse moto, certes aussi dispendieuse qu’une maîtresse, mais plus disponible.

    - Vous me plaignez, mais pourquoi?

    - Ce ne doit pas être facile de se faire insulter sans cesse par les gens qu’on arrête".

    - Mais les gens que j’arrête ne m’insultent pas.

    - Ah ? Alors vous ne devez pas arrêter grand monde!

    Fermez le ban! C’en était fini de sa conversation. Cela ne l’intéressait pas de savoir pourquoi je ne pensais pas comme elle. En fait cela ne l’intéressait pas d’échanger. Ce qui devrait être le but de toute conversation, mais qui n’est jamais le cas lors de ce genre de dîner.

    Un coup de fil aux collègues restés au bureau en ce beau mois de juillet, pour vérifier que mon Directeur n’avait pas envoyé une de ses collaboratrices afin de me faire passer le message : je dois arrêter plus de monde. Non, rien. C’est donc que cette dame croit véritablement que les rapports police-voyous sont obligatoirement conflictuels. Un peu comme certains jeunes de cité qui ne connaissent encore ni la vie, ni la Police. Qui pensent que comme sur ces affiches de mai 1968 représentant les C.R.S., nous sommes toujours la matraque à la main, le front bas, à chercher un arabe sur qui soulager toute la haine que notre vie de misère nous inspire. Combien sont-ils dans son cas? Trop nombreux de toute façon. C’est pour eux, mais plus encore pour que soit reconnu le travail que nous réalisons, mes collègues et moi, que j’ai voulu raconter "mes gardes à vue". Et puis aussi pour défendre notre institution et nos métiers, attaqués de toute part. Toutes ces attaques contre des hommes et des femmes que je connais, par des gens qui jamais dans leur vie n’ont couru le moindre danger, me hérisse. J’en souffre tous les jours. Nous avons une chance, qui est une richesse, et qu’auront rarement ceux qui nous critiquent sans nous connaître, c’est que l’exercice de notre profession nous amène à rencontrer des gens de tous milieux et de toutes origines, un kaléidoscope de vies si différentes que ne soupçonneront jamais nos donneurs de leçons.

    En 2009, plus de 580 000 personnes ont été placées en garde à vue par les services de Police ou de Gendarmerie, dont plus de 80% pour une durée inférieure à vingt-quatre heures. Je parlerai donc surtout des 20% restant. Sur ces quelques 580 000 personnes, moins de 15 000 sont décidées par les policiers de P.J. Et sur ces 15 000 personnes, une cinquantaine est réalisée par les membres de mon groupe. Ce n’est pas beaucoup certes. Mais depuis dix-sept ans que je fais ce métier, cela fait tout de même un certain nombre d’hommes et de femmes qui ont croisé ma route dans ces conditions si particulières.

    Je ne prétends pas rivaliser avec l’ancien commissaire divisionnaire Philippe Vénère, qui si l’on en croit le journal Le Monde aurait procédé à 40 000 gardes à vue dans sa carrière, ce qui lui permet sans doute, toute honte bue, de publier un manuel de résistance contre la garde à vue ! Heureusement qu’il est parti en retraite. C’est sans doute pour ça que les chiffres de gardes à vue sont en baisse : moins 8,53% et moins 1,10 % ces deux derniers semestres selon l’Institut National des Hautes Études de la Sécurité et de la Justice. Vous en aviez entendu parler ? C’est une information qui ne va pas dans le sens du vent.

    Régulièrement, lorsqu’un VIP est placé en garde à vue, il s’offusque de constater par lui-même que certains privilèges ont bien été abrogés il y a un peu plus de deux cents ans et que le 4 août ne renvoie pas seulement aux vacances d’été. "On" m’a mis les menottes! "On" m’a fouillé à corps! Voyez l’inénarrable Beigbeder dans son Roman français qui s’insurge contre sa récente garde à vue lui qui, loin de tout romantisme, sniffait une ligne de coke à même le capot de sa voiture. Il évoque « la pire expérience de (s)a vie ». Pauvre petit. Mais j’ose espérer qu’il parle du remords qu’il a ressenti. Il argue pour sa défense qu’il rejouait là la scène d’un film. C’est beau à pleurer. On a beau avoir un frère qui reçoit la légion d’honneur- t’inquiète pas Fred, tu l’auras aussi-, on a droit au même traitement que le multirécidiviste.

    La garde à vue fait peur - enfin pas à tous - et cette peur est savamment entretenue par certains journalistes et écrivains. Elle fait vendre du papier, et des livres. Je n’ai jamais vu, contrairement à Frédéric Beigbeder, personne me supplier à genoux de le laisser repartir. C’est aussi pour casser cette image d’Épinal de la garde à vue, pour montrer de l’intérieur ce à quoi cela peut ressembler que je souhaite expliquer cette relation passagère et particulière qui se crée entre les policiers et les gardés à vue, loin des dernières polémiques.

    Entendons-nous bien. : Je n’ai pas voulu vous conter les enquêtes auxquelles j’ai participé ou celles que j’ai moi-même menées. Des ouvrages de ce type, intéressants certes, il y en a à foison, et forcément, ils se ressemblent tous un peu. Non, moi j’ai voulu écrire et décrire une ambiance de travail, expliquer le pourquoi et le comment de ce que nous faisons. Montrer que cette profession à nulle autre pareillepeut être une passion. Rendre hommage à ceux qui l’exercent. Et puis surtout, essayer de vous conter cette fabuleuse aventure humaine que constitue notre métier. Une aventure humaine, faite de sentiments vrais, d’émotions extrêmement variées, de joies et de peines aussi. Une "communauté d’émotions" pour reprendre un terme sociologique. Une aventure humaine partagée avec ceux qui travaillent avec moi, mais aussi avec ceux que je place en garde à vue. Je sais bien que ma vision des choses n’est pas partagée par tout le monde au sein de l’institution policière. Et c’est le droit de chacun d’avoir ses propres motivations. Je ne l’impose même pas aux membres de mon groupe. Mais je crois qu’à tout le moins, pour travailler directement avec moi, il faut la comprendre. Et pour la comprendre, il faut la connaître.

    Je trouve beaucoup d’analogies entre le métier de policier et celui de médecin. Dans la Police comme dans la Médecine, il y a des généralistes et des spécialistes. Non pas que les uns soient meilleurs professionnels que les autres, c’est juste que leur domaine de compétence diffère. Dans un hôpital vous trouverez, en fonction des maux dont vous souffrez, le spécialiste adéquat qui saura traiter votre pathologie : cancérologue ; cardiologue ; gastro-entérologue ; urologue… Si votre mal est plus bénin et plus courant, une visite chez votre médecin traitant suffira. Pour soigner les maux de la société, c’est un peu pareil. Certes, personne n’a son « policier traitant », encore que dans certaines communes rurales ce rôle puisse être exercé par certains gendarmes qui connaissent personnellement tous les habitants de leur ressort. Si vous êtes victime d’un menu larcin, un détour par le commissariat le plus proche pourra suffire pour déposer plainte. Si en revanche votre commerce a été victime d’un vol à main armée, votre société d’un abus de biens sociaux ou votre conjoint d’un homicide, le Parquet saisira probablement la Brigade de Répression du Banditisme, la Brigade financière, ou la Brigade criminelle. Les policiers qui les composent auront plus de temps et de moyens à accorder à la recherche des coupables et de la vérité. Et peut-être aussi, un peu plus de savoir-faire dans ce qui est leur spécialité.

    Pour avoir, et de plus en plus en vieillissant, une santé calamiteuse, il m’est arrivé nombre de fois de m’entendre dire par un chirurgien, sans aucune tentative de ménagement: "à quelle date pouvez-vous vous faire opérer?". C’est rarement agréable à entendre, surtout que souvent vôtre visite n’avait, dans votre esprit, aucune raison de déboucher sur un tel verdict. Et c’est vrai, qu’il m’arrive rarement de tenter de ménager une personne avant de lui dire: "je vous place en garde à vue". Le traumatisme est peut-être aussi important que celui résultant de l’annonce d’une opération. Au moins la personne n’a-t-elle pas le temps de gamberger. Je ne lui demande jamais: "à quelle date pouvez-vous être placée en garde à vue"? Et puis, je vais vous dire sans forfanterie aucune, je crois sincèrement que j’éprouve à l’égard de mes gardés à vue plus d’humanité que n’en éprouvent certains grands pontes de la médecine à l’égard de leurs malades. Pour eux nous ne sommes trop souvent qu’un cas clinique, qu’une pathologie à traiter, souvent en faisant fi de celui qui la porte. Pour moi, le gardé à vue ne se résume pas à ce qu’il a fait. C’est avant tout un homme avec son histoire, qui m’intéresse. Avec ses erreurs et ses déviances. Qui m’intéressent aussi. L’hospitalisation, comme la garde à vue, peut déboucher sur une longue période de privation de liberté. Il y a peu, l’un des premiers gestes que l’infirmière a eu à mon égard alors que je venais avec mon sac de pénétrer dans un hôpital, a été de me passer un bracelet au poignet sur lequel figurait mon nom. Je n’irai pas jusqu’à dire que cela m’a fait penser à un bracelet funéraire. Encore que. En revanche l’analogie avec le bracelet électronique m’a sauté aux yeux. Mais avec un bracelet électronique, vous êtes dehors. Parmi toutes les personnes qui fréquentent les hôpitaux, une infime partie d’entre elles sont victimes de maladies nosocomiales. Parfois extrêmement graves. Parfois mortelles. Parmi toutes les personnes placées en garde à vue, une infime partie d’entre elles y passe un fort mauvais moment. Rarement extrêmement grave. Certains voudraient alors supprimer la garde à vue. Connaissez-vous quelqu’un qui veuille de même supprimer les hôpitaux ?