Alexandre Dupouy
Mauvaises filles
En 1980, un vieux monsieur se rend chez un libraire parisien spécialisé, Alexandre Dupouy, et lui propose sa collection : des centaines de photos de jeunes femmes nues qui ont posé pour cet inconnu. Ces filles ne sont pas des modèles de peintres ou de photographes, et pas davantage d’hypothétiques rencontres qui auraient consenti à se dénuder devant un objectif : elles ont l’habitude de s’exhiber. On devine qu’elles vivent nues dans le même décor, dans la même maison : ce sont des prostituées « en maison ». Une vue prise d’un balcon donnant sur la place Pigalle en témoigne. Elles s’appellent Fanfan, Mado, Suzy, Nénette, et pendant des années l’inconnu les a photographiées. Il est le E.J. Bellocq français, ce photographe américain du début du siècle dont Louis Malle a illustré la vie dans son film La Petite. Le photographe a jeté tous les négatifs et désire juste laisser quelques tirages à l’intention d’amateurs qui partagent ses goûts, à la condition expresse qu’on ne révèle jamais son identité. Il devint Monsieur X pour les collectionneurs.
Les clients défilent en ces temps où les « maisons » tournent à plein régime et sont le symbole de l’hypocrisie des mœurs bourgeoises de l’époque. Parmi eux donc, Monsieur X leur demande de poser pour son bon plaisir. Portraits, scènes suggestives, scènes de la vie quotidienne dans les bordels, rien n’échappe à l’objectif du photographe passionné qui va conserver toute sa vie ces clichés. Moments de répit dans la journée des pensionnaires des bordels, ces photos, si elles sont explicites, ne sont pas pornographiques : on y devine avec émotion l’étrange regard de ces filles dont le corps exposé est livré à la société de l’époque.
- Alexandre Dupouy chine les vieux papiers depuis l’âge de seize ans, avec une prédilection pour ce qui tourne autour de l’érotisme. Il est le fondateur de la librairie-galerie Les Larmes d’Éros, spécialisée dans les livres érotiques anciens, et a créé les éditions Astarté. Il est aussi photographe.