Dominique Forma, Manaus
RomanNovellaRoman noir
154 pages
a paru le 5 novembre 2020
ISBN 978-2-3588-7704-6
Dominique Forma

Manaus

RomanNovellaRoman noir
154 pages a paru le 5 novembre 2020 ISBN 978-2-3588-7704-6
RomanNovellaRoman noir
154 pages a paru le 5 novembre 2020 ISBN 978-2-3588-7704-6

D’abord, il doit passer inaperçu parmi l’escorte qui accompagne de Gaulle en Argentine. Une fois sur place, accomplir sa mission. Simplement, efficacement, sans poser de question. Trouver le contact, approcher la cible, l’éliminer. Puis, toujours invisible, retourner en France. Mais les Services lui annoncent qu’il doit faire un détour par Manaus. Dans cette ville brésilienne spéculent les anciens partisans de l’Algérie française en exil, des nazis ayant fui la chute de leur monde, les chefs des cartels de drogue latinos… Là, au cours de troubles négociations, il devra accompagner un Français, qui n’est autre que le témoin dérangeant d’un passé impossible à oublier…

Dans la moiteur de cette jungle amazonienne où les règles n’existent plus et où la trahison devient le mot d’ordre, Dominique Forma nous livre un roman aussi noir que cinglant.

  • Né en 1962 à Puteaux, Dominique Forma s’installe à Hollywood dans les années 1980 et officie comme music supervisor. En 2001, il écrit et réalise le film La Loi des armes. De retour en France, il écrit chez Fayard, puis aux éditions Rivages, avant de rejoindre La Manufacture de livres.
    • Dominique Forma, La Faute de la traductrice
    • Dominique Forma, Albuquerque
  • Revue de presse
    Dans un style toujours aussi sobre mais évocateur, Dominique Forma parvient cette fois à nous projeter dans la peau d’un personnage qui est davantage un antihéros qu’un héros, confronté à la violence et à la misère de Manaus dans la moiteur de la jungle amazonienne.
    Des « Boches » tortionnaires, une belle femme plus dangereuse qu’un mercenaire et le poids de l’histoire de la décolonisation pour ce héros, mi-Rambo, mi-James Bond, dans un texte court, sec et incisif.
    De sa belle écriture colorée, dans un style élégant et précis, Dominique Forma raconte le cycle infini des guerres, qui engloutissent les hommes d’époque en époque, de pays en pays, sans pitié ni mémoire.
    C’est beau et raconté d’un trait. Un style sobre, efficace, plein de retenue – la retenue militaire des « héros ». Beau et sec comme du Melville.
    Aussi bref et tranchant qu’une lame de rasoir.
  • téléchargez l’extrait

    1. El Espinillo, province de Formosa, Argentine.

    J’ai goût pour l’obéissance.

    La mienne, comme celles des autres.

    À chacun sa place ; se surestimer n’est pas un péché, c’est une faute impardonnable. A tendre le cou vers le ciel, on se tord les pieds.

    Les esprits libres, ceux méritant de l’être, je les compte sur les doigts d’une main brulée. Les autres, nous autres, il vaut mieux qu’on la ferme ; les yeux baissés, accomplissons la tâche qui nous est attribuée.

    Obéir rassure sur les improbables raisons expliquant notre existence.

    Surtout, je parle là de ma propre expérience, obéir prévient de trahir. Moi, j’obéis sans poser de questions. Pourquoi ? Parce que je suis un soldat.

    L’obéissance est la vertu cardinale du militaire, le courage vient ensuite. Ceux qui faillissent à cette règle, en abandonnant la légalité, deviennent des déserteurs. Lors du putsch contre de Gaulle, en Avril 61*(note bas de page), j’ai vu mes amis, des hommes, qui m’impressionnaient et que je respectais, faire sécession. Des Saint-Cyriens, des légionnaires, des parachutistes, des types formidables qui avaient survécu à l’Indochine et étaient revenus de Dien Biên Phu. Je les ai vu refusé les ordres, et en appeler à renverser le gouvernement pour que l’Algérie demeure française.

    C’était il y a trois ans, une autre époque ; trois années, une éternité en somme.

    Dans le courant de l’après-midi du 21 septembre, nous atterrissons à Caracas ; c’est la première fois que je pose le pied au Venezuela. Je suis un anonyme, parmi les 37 subordonnés de l’État, dont quatre gardes du corps spécialistes de la protection rapprochée, perdu dans la cohorte des officiers, diplomates et haut fonctionnaires qui ont été choisi pour accompagner et faciliter la tâche du président de la République durant sa tournée latino-américaine, laquelle durera 26 jours et se terminera à Rio de Janeiro le 16 octobre.

    La prudence et les protocoles gérant les interventions des membres du service Action m’interdisent toute proximité publique avec les officiels de l’état. Mais l’urgence de la situation, le créneau exceptionnel qui se présente pour intervenir, ont poussé mes supérieurs à sursoir aux règles habituelles de sécurité.

    *(note 21-26 Avril 1961. Le putsch des généraux. Réalisant que le président de la République, Charles de Gaulle, abandonnait toute idée de conserver l’Algérie, une partie de l’armée décide de s’opposer au pouvoir 4 légal. Le putsch s’effondre après quatre jours, une partie des soldats sécessionnistes rejoignent l’OAS)

    Si on me repère, m’arrête, ou m’exécute, avant mon retour sur le territoire national, l’État niera toute responsabilité ; les Services affirmeront sur ce qu’il y a de plus sacré, la constitution par exemple, ne pas me compter parmi leurs employés. Il est entendu qu’on salira ma mémoire si nécessaire, qu’on dénaturera mon histoire afin de couper court à toute supposition reliant ma mission en lien avec la France. Personne ne me regrettera, personne ne saura jamais qui je suis. Si on venait à me torturer, il serait impossible pour mes tortionnaires d’obtenir la preuve intangible que je sois un agent opérant pour le compte du SA, le service Action.

    Évidemment, n‘étant pas en Amérique du Sud, ma mission n’existe pas.

    Je suis monté dans un des avions qui précédaient celui du général de Gaulle, avec la qualité d’ingénieur hydromécanique, pour qui la fabrication des barrages hydrauliques dont les états d’Amérique du Sud ont tant besoin, n’a pas de secret ; pourquoi pas ?

    Durant le trajet par dessus l’Atlantique, à ceux qui revenant des toilettes s’arrêtent au niveau de mon siège pour évaluer mon importance, je réponds avoir peu de temps pour terminer le rapport que je suis censé remettre à Couve de Murville, ministre des Affaires étrangères, dans les minutes qui suivront l’atterrissage. Les questions s’arrêtent, on me laisse tranquille.

    Étant donné la nature inexistante de ma mission, il m’est impossible de continuer à emprunter les mêmes transports que l’entourage accompagnant le général De Gaulle. Le prestige de cette tournée du Libertador français ne peut être entaché d’aucun vice, d’aucun désagrément.

    À l’aéroport de Caracas, je reste dans la carlingue et n’en sors qu’après tout le monde ; le pilote et son équipe, en partant, ne me posent pas de question. Les officiels, les journalistes, les agents des services secrets étrangers sont partis depuis longtemps lorsqu’on vient me chercher. On m’installe dans un avion privé appartenant à une société que les Services contrôlent en sous-main. Des ailes jusqu’au cockpit, l’appareil ne cesse de trembler durant le trajet pour me déposer finalement sans tracas en Guyane.

    Le Général va enflammer les foules latines en commençant par Caracas puis Quito. Le 3 octobre il arrivera à Buenos Aires, puis sera le 6 dans la capitale du Paraguay, Asunción. J’aurais alors terminé ma mission, je serais de retour sur le territoire national.

    De Cayenne, deux jours plus tard, je reprends un avion qui, en trois étapes saute-moutons, me dépose à Buenos Aires.

    À l’ambassade, les Services me fournissent une voiture pour rejoindre Formosa, seule ville d’importance dans la province du même nom et qui se situe dans le Nord-est de l’Argentine. 15 heures de route, sans m’arrêter.

    Je me repose en arrivant à mon hôtel. La ville est tranquille ; quand on veut épicer ses nuits, ou gagner un paquet d’argent en une soirée, les résidents poussent jusqu’à Clorinda. Formosa est la capitale d’une province pauvre. Rien de particulier dont il faudrait que je me préserve ; un fleuve servant de frontière avec le Paraguay, un port fluvial avec ses bars et ses bordels. Des trafics de toutes sortes pour soutenir l’économie locale. Je ne bouge pas de ma chambre, je ne suis pas venu faire du tourisme.

    On m’avait prévenu à Buenos Aires, il m’est interdit de poursuivre ma route en utilisant la voiture qu’on m’a allouée. On ne m’a donné aucune explication, je n’en ai pas demandé ; je l’aurais fait, on ne m’aurait pas répondu, ou bien on m’aurait servi un gros mensonge.

    Ce véhicule m’aurait pourtant permis de rejoindre mon lieu de rendez-vous avec un gain de 12 heures, mais j’ai obéi.

    Le lendemain, à huit heures, je joue des coudes au milieu des paysannes pour me trouver une place dans le bus qui me conduit à Clorinda. Là, en début d’après-midi, je monte dans un autre bus qui, empruntant la route 86, longe la frontière nord avec le Paraguay, et me transporte à Espinillo deux heures plus tard.

    Je suis le seul homme, je suis le seul blanc, je suis le seul individu ne parlant pas le Guarani à descendre à Espinillo. Les locaux, bien que parlant le castillan, sont parvenus à conserver la langue de leurs ancêtres. Ils sont aussi foncés de complexion que je suis blond et j’ai les joues roses. Ils sont indifférents à ma présence. Je sais pourquoi : en réalité il y a d’autres blancs, d’autres Franceses, dans les environs, pour lesquels ils sont bien forcés de travailler, mais avec lesquelles ils ne se mélangent pas.

    À moi de les trouver ces Français du bout du monde.

    Quatre vieilles, quatre femmes aux corps effondrés, aux faciès fatigués, discutent sur le perron de l’épicerie locale. C’est le meilleur moment de la semaine ; on se raconte tout. On se dispute. On se chamaille et surtout on échange les derniers ragots. Même dans cette bourgade oubliée de cette province anémiée, il a y toujours matière à raconter des saletés sur les uns et les autres.

    Si ces femmes ne m’ont pas regardé, trop occupées qu’elles sont à discuter, je sais que l’une d’entre elles, sans savoir laquelle, m’a repéré. C’est ici, devant cette épicerie, entre midi dernier et ce soir que le messager devant me délivrer des informations cruciales pour mener ma mission à bien, doit me contacter. Mon postier est une de ces quatre Indiennes boursouflées par la mauvaise nourriture combinée à un excès de bière, là, de l’autre côté de la rue, sous ce porche, qui discutent en remuant les bras.

    Je reste à l’écart, dans mon coin, à me demander combien de temps je vais devoir patienter. La première chose qu’on m’a enseignée, en même temps que l’obéissance, est la patience. Dans mon métier, les nerveux, les excités, ceux qui vivent à fleur de peau sont rapidement… bousillés.

    Donc j’attends. Pour me donner une contenance, je feins de tomber sous le charme des poteaux électriques couverts de petits papiers agrafés, puis m’intéresse aux amas de sacs de poubelle qui encombrent les à-côtés des maisons.

    La température se stabilise à 17 degrés, et je prends froid.

    Une première femme se décide à abandonner le groupe. Elle s’éloigne, retrouvant la gravité de son rang et de son âge, en boitant ; une hanche flinguée certainement.

    Le trio restant parle maintenant à voix basse. Et je sais, sans rien comprendre de ce qui est baragouiné, que les trois diablesses se défoulent et accablent la partante. Sa réputation doit être impeccable car, moins de dix minutes plus tard, le trio se sépare, chacune s’éloigne dans une direction opposée. Je reste tout seul, oublié, entre mon poteau électrique et les amas de déchets. Ne pas s’énerver, juste s’inquiéter un peu pour le bien de la mission, et surtout continuer d’attendre.

    Un sifflement attire mon attention. Entre deux maisons aux volets fermés, la boiteuse honorable me fait signe de la rejoindre. Partir en premier pour mieux masquer ses réelles intentions. Il y a des allées et venues à l’épicerie qui la dérangent.

    — Maria Esterizza.

    Comme si la vérité sortait de sa bouche.

    Un mouvement bref partant du haut de la tête pour toute réponse, car j’attends d’elle autre chose pour me prouver qu’elle est bien ce messager que je suis venu rencontrer dans ce coin paumé. J’attends un code connu de nous deux uniquement et de nos supérieurs respectifs :

    Enfin :

    — Di Gaullaiss… Di Gaoullais.

    Devant mon manque de réaction, Maria s’énerve :

    — El general de Francia !

    C’est suffisamment proche du code convenu pour me convaincre que cette boiteuse est la personne que j’espérais. J’accepte la corbeille en osier qu’elle me propose.

    Maria se recoiffe en glissant les doigts dans ses cheveux, la vieille dame est restée coquette, ce qui la rend émouvante à mes yeux. Elle ne me salue pas, elle se détourne et accélère le pas malgré sa claudication ; j’attends qu’elle disparaisse à l’extrémité de la maison pour fouiller la corbeille en osier.

    Sous le carré de tissu bariolé, la corbeille contient ce dont j’ai besoin pour mener à terme ma charge. Une arme tchèque datant d’une dizaine d’années, comme celles que l’armée israélienne leur achète depuis 1948. Si on retrouve l’arme après que je m’en sois débarrassé, son origine des pays de l’Est brouillera les pistes et multipliera les suppositions.

    Le numéro d’un bus et son heure approximative de passage. Un plan dessiné sur une feuille à petits carreaux indiquant le chemin à prendre. En bas en lettres appliquées est inscrit : Jouffroy Gerderault, el francés.