
Dominique Forma
Manaus
D’abord, il doit passer inaperçu parmi l’escorte qui accompagne de Gaulle en Argentine. Une fois sur place, accomplir sa mission. Simplement, efficacement, sans poser de question. Trouver le contact, approcher la cible, l’éliminer. Puis, toujours invisible, retourner en France. Mais les Services lui annoncent qu’il doit faire un détour par Manaus. Dans cette ville brésilienne spéculent les anciens partisans de l’Algérie française en exil, des nazis ayant fui la chute de leur monde, les chefs des cartels de drogue latinos… Là, au cours de troubles négociations, il devra accompagner un Français, qui n’est autre que le témoin dérangeant d’un passé impossible à oublier…
Dans la moiteur de cette jungle amazonienne où les règles n’existent plus et où la trahison devient le mot d’ordre, Dominique Forma nous livre un roman aussi noir que cinglant.
Né en 1962 à Puteaux, Dominique Forma s’installe à Hollywood dans les années 1980 et officie comme music supervisor. En 2001, il écrit et réalise le film La Loi des armes. De retour en France, il écrit chez Fayard, puis aux éditions Rivages, avant de rejoindre La Manufacture de livres.- Revue de presseDans un style toujours aussi sobre mais évocateur, Dominique Forma parvient cette fois à nous projeter dans la peau d’un personnage qui est davantage un antihéros qu’un héros, confronté à la violence et à la misère de Manaus dans la moiteur de la jungle amazonienne.Des « Boches » tortionnaires, une belle femme plus dangereuse qu’un mercenaire et le poids de l’histoire de la décolonisation pour ce héros, mi-Rambo, mi-James Bond, dans un texte court, sec et incisif.De sa belle écriture colorée, dans un style élégant et précis, Dominique Forma raconte le cycle infini des guerres, qui engloutissent les hommes d’époque en époque, de pays en pays, sans pitié ni mémoire.C’est beau et raconté d’un trait. Un style sobre, efficace, plein de retenue – la retenue militaire des « héros ». Beau et sec comme du Melville.Aussi bref et tranchant qu’une lame de rasoir.
- téléchargez l’extrait
1. El Espinillo, province de Formosa, Argentine.
J’ai goût pour l’obéissance.
La mienne, comme celles des autres.
À chacun sa place ; se surestimer n’est pas un péché, c’est une faute impardonnable. A tendre le cou vers le ciel, on se tord les pieds.
Les esprits libres, ceux méritant de l’être, je les compte sur les doigts d’une main brulée. Les autres, nous autres, il vaut mieux qu’on la ferme ; les yeux baissés, accomplissons la tâche qui nous est attribuée.
Obéir rassure sur les improbables raisons expliquant notre existence.
Surtout, je parle là de ma propre expérience, obéir prévient de trahir. Moi, j’obéis sans poser de questions. Pourquoi ? Parce que je suis un soldat.
L’obéissance est la vertu cardinale du militaire, le courage vient ensuite. Ceux qui faillissent à cette règle, en abandonnant la légalité, deviennent des déserteurs. Lors du putsch contre de Gaulle, en Avril 61*(note bas de page), j’ai vu mes amis, des hommes, qui m’impressionnaient et que je respectais, faire sécession. Des Saint-Cyriens, des légionnaires, des parachutistes, des types formidables qui avaient survécu à l’Indochine et étaient revenus de Dien Biên Phu. Je les ai vu refusé les ordres, et en appeler à renverser le gouvernement pour que l’Algérie demeure française.
C’était il y a trois ans, une autre époque ; trois années, une éternité en somme.
Dans le courant de l’après-midi du 21 septembre, nous atterrissons à Caracas ; c’est la première fois que je pose le pied au Venezuela. Je suis un anonyme, parmi les 37 subordonnés de l’État, dont quatre gardes du corps spécialistes de la protection rapprochée, perdu dans la cohorte des officiers, diplomates et haut fonctionnaires qui ont été choisi pour accompagner et faciliter la tâche du président de la République durant sa tournée latino-américaine, laquelle durera 26 jours et se terminera à Rio de Janeiro le 16 octobre.
La prudence et les protocoles gérant les interventions des membres du service Action m’interdisent toute proximité publique avec les officiels de l’état. Mais l’urgence de la situation, le créneau exceptionnel qui se présente pour intervenir, ont poussé mes supérieurs à sursoir aux règles habituelles de sécurité.
*(note 21-26 Avril 1961. Le putsch des généraux. Réalisant que le président de la République, Charles de Gaulle, abandonnait toute idée de conserver l’Algérie, une partie de l’armée décide de s’opposer au pouvoir 4 légal. Le putsch s’effondre après quatre jours, une partie des soldats sécessionnistes rejoignent l’OAS)
Si on me repère, m’arrête, ou m’exécute, avant mon retour sur le territoire national, l’État niera toute responsabilité ; les Services affirmeront sur ce qu’il y a de plus sacré, la constitution par exemple, ne pas me compter parmi leurs employés. Il est entendu qu’on salira ma mémoire si nécessaire, qu’on dénaturera mon histoire afin de couper court à toute supposition reliant ma mission en lien avec la France. Personne ne me regrettera, personne ne saura jamais qui je suis. Si on venait à me torturer, il serait impossible pour mes tortionnaires d’obtenir la preuve intangible que je sois un agent opérant pour le compte du SA, le service Action.
Évidemment, n‘étant pas en Amérique du Sud, ma mission n’existe pas.
Je suis monté dans un des avions qui précédaient celui du général de Gaulle, avec la qualité d’ingénieur hydromécanique, pour qui la fabrication des barrages hydrauliques dont les états d’Amérique du Sud ont tant besoin, n’a pas de secret ; pourquoi pas ?
Durant le trajet par dessus l’Atlantique, à ceux qui revenant des toilettes s’arrêtent au niveau de mon siège pour évaluer mon importance, je réponds avoir peu de temps pour terminer le rapport que je suis censé remettre à Couve de Murville, ministre des Affaires étrangères, dans les minutes qui suivront l’atterrissage. Les questions s’arrêtent, on me laisse tranquille.
Étant donné la nature inexistante de ma mission, il m’est impossible de continuer à emprunter les mêmes transports que l’entourage accompagnant le général De Gaulle. Le prestige de cette tournée du Libertador français ne peut être entaché d’aucun vice, d’aucun désagrément.
À l’aéroport de Caracas, je reste dans la carlingue et n’en sors qu’après tout le monde ; le pilote et son équipe, en partant, ne me posent pas de question. Les officiels, les journalistes, les agents des services secrets étrangers sont partis depuis longtemps lorsqu’on vient me chercher. On m’installe dans un avion privé appartenant à une société que les Services contrôlent en sous-main. Des ailes jusqu’au cockpit, l’appareil ne cesse de trembler durant le trajet pour me déposer finalement sans tracas en Guyane.
Le Général va enflammer les foules latines en commençant par Caracas puis Quito. Le 3 octobre il arrivera à Buenos Aires, puis sera le 6 dans la capitale du Paraguay, Asunción. J’aurais alors terminé ma mission, je serais de retour sur le territoire national.
De Cayenne, deux jours plus tard, je reprends un avion qui, en trois étapes saute-moutons, me dépose à Buenos Aires.
À l’ambassade, les Services me fournissent une voiture pour rejoindre Formosa, seule ville d’importance dans la province du même nom et qui se situe dans le Nord-est de l’Argentine. 15 heures de route, sans m’arrêter.
Je me repose en arrivant à mon hôtel. La ville est tranquille ; quand on veut épicer ses nuits, ou gagner un paquet d’argent en une soirée, les résidents poussent jusqu’à Clorinda. Formosa est la capitale d’une province pauvre. Rien de particulier dont il faudrait que je me préserve ; un fleuve servant de frontière avec le Paraguay, un port fluvial avec ses bars et ses bordels. Des trafics de toutes sortes pour soutenir l’économie locale. Je ne bouge pas de ma chambre, je ne suis pas venu faire du tourisme.
On m’avait prévenu à Buenos Aires, il m’est interdit de poursuivre ma route en utilisant la voiture qu’on m’a allouée. On ne m’a donné aucune explication, je n’en ai pas demandé ; je l’aurais fait, on ne m’aurait pas répondu, ou bien on m’aurait servi un gros mensonge.
Ce véhicule m’aurait pourtant permis de rejoindre mon lieu de rendez-vous avec un gain de 12 heures, mais j’ai obéi.
Le lendemain, à huit heures, je joue des coudes au milieu des paysannes pour me trouver une place dans le bus qui me conduit à Clorinda. Là, en début d’après-midi, je monte dans un autre bus qui, empruntant la route 86, longe la frontière nord avec le Paraguay, et me transporte à Espinillo deux heures plus tard.
Je suis le seul homme, je suis le seul blanc, je suis le seul individu ne parlant pas le Guarani à descendre à Espinillo. Les locaux, bien que parlant le castillan, sont parvenus à conserver la langue de leurs ancêtres. Ils sont aussi foncés de complexion que je suis blond et j’ai les joues roses. Ils sont indifférents à ma présence. Je sais pourquoi : en réalité il y a d’autres blancs, d’autres Franceses, dans les environs, pour lesquels ils sont bien forcés de travailler, mais avec lesquelles ils ne se mélangent pas.
À moi de les trouver ces Français du bout du monde.
Quatre vieilles, quatre femmes aux corps effondrés, aux faciès fatigués, discutent sur le perron de l’épicerie locale. C’est le meilleur moment de la semaine ; on se raconte tout. On se dispute. On se chamaille et surtout on échange les derniers ragots. Même dans cette bourgade oubliée de cette province anémiée, il a y toujours matière à raconter des saletés sur les uns et les autres.
Si ces femmes ne m’ont pas regardé, trop occupées qu’elles sont à discuter, je sais que l’une d’entre elles, sans savoir laquelle, m’a repéré. C’est ici, devant cette épicerie, entre midi dernier et ce soir que le messager devant me délivrer des informations cruciales pour mener ma mission à bien, doit me contacter. Mon postier est une de ces quatre Indiennes boursouflées par la mauvaise nourriture combinée à un excès de bière, là, de l’autre côté de la rue, sous ce porche, qui discutent en remuant les bras.
Je reste à l’écart, dans mon coin, à me demander combien de temps je vais devoir patienter. La première chose qu’on m’a enseignée, en même temps que l’obéissance, est la patience. Dans mon métier, les nerveux, les excités, ceux qui vivent à fleur de peau sont rapidement… bousillés.
Donc j’attends. Pour me donner une contenance, je feins de tomber sous le charme des poteaux électriques couverts de petits papiers agrafés, puis m’intéresse aux amas de sacs de poubelle qui encombrent les à-côtés des maisons.
La température se stabilise à 17 degrés, et je prends froid.
Une première femme se décide à abandonner le groupe. Elle s’éloigne, retrouvant la gravité de son rang et de son âge, en boitant ; une hanche flinguée certainement.
Le trio restant parle maintenant à voix basse. Et je sais, sans rien comprendre de ce qui est baragouiné, que les trois diablesses se défoulent et accablent la partante. Sa réputation doit être impeccable car, moins de dix minutes plus tard, le trio se sépare, chacune s’éloigne dans une direction opposée. Je reste tout seul, oublié, entre mon poteau électrique et les amas de déchets. Ne pas s’énerver, juste s’inquiéter un peu pour le bien de la mission, et surtout continuer d’attendre.
Un sifflement attire mon attention. Entre deux maisons aux volets fermés, la boiteuse honorable me fait signe de la rejoindre. Partir en premier pour mieux masquer ses réelles intentions. Il y a des allées et venues à l’épicerie qui la dérangent.
— Maria Esterizza.
Comme si la vérité sortait de sa bouche.
Un mouvement bref partant du haut de la tête pour toute réponse, car j’attends d’elle autre chose pour me prouver qu’elle est bien ce messager que je suis venu rencontrer dans ce coin paumé. J’attends un code connu de nous deux uniquement et de nos supérieurs respectifs :
Enfin :
— Di Gaullaiss… Di Gaoullais.
Devant mon manque de réaction, Maria s’énerve :
— El general de Francia !
C’est suffisamment proche du code convenu pour me convaincre que cette boiteuse est la personne que j’espérais. J’accepte la corbeille en osier qu’elle me propose.
Maria se recoiffe en glissant les doigts dans ses cheveux, la vieille dame est restée coquette, ce qui la rend émouvante à mes yeux. Elle ne me salue pas, elle se détourne et accélère le pas malgré sa claudication ; j’attends qu’elle disparaisse à l’extrémité de la maison pour fouiller la corbeille en osier.
Sous le carré de tissu bariolé, la corbeille contient ce dont j’ai besoin pour mener à terme ma charge. Une arme tchèque datant d’une dizaine d’années, comme celles que l’armée israélienne leur achète depuis 1948. Si on retrouve l’arme après que je m’en sois débarrassé, son origine des pays de l’Est brouillera les pistes et multipliera les suppositions.
Le numéro d’un bus et son heure approximative de passage. Un plan dessiné sur une feuille à petits carreaux indiquant le chemin à prendre. En bas en lettres appliquées est inscrit : Jouffroy Gerderault, el francés.
- Dominique Forma au Festival Lire à Limoges 2025 Le 20 juin 2025
Retrouvez Dominique Forma lors du Festival Lire à Limoges 2025 du 20 au 22 juin.
- 12e édition du Salon NOIR VÉZÈRE avec Dominique Forma et Jean-Hugues Oppel Le 18 juillet 2025
L’association “Lire et écrire au Bugue”organise les 18 et 19 juillet 2025 au Bugue, en Dordogne, la 12e édition du Salon NOIR VÉZÈRE, consacré à la rencontre du roman policier et de l’imaginaire.
Noir Vézère
Place de l'Hôtel de ville 24260 Le BugueDocuments à téléchargerDocuments à télécharger - 12e édition du Salon NOIR VÉZÈRE avec Dominique Forma et Jean-Hugues Oppel Le 18 juillet 2025

Crédits
© 2025 la manufacture de livres. Tous droits réservés.
Le site est entièrement réalisé à la main par Cédric Scandella
Les textes sont tous écrits par l'équipe de la Manufacture de Livres
Mentions légales
https://www.lamanufacturedelivres.com/SL Publications
Représentant légal et directeur de la publication : Pierre Fourniaud
101 rue de Sèvres
75006 Paris
33 1 45 66 90 08
Siren : 505 303 065 RCS paris
Siret : 505 303 065 000 13
VAT FR94505303065
SARL au capital de 10 000 euros créée le 8 juillet 2008
Droits d’auteur et de propriété intellectuelle
Tous les contenus de ce site Internet textes, photographies, illustrations, etc. sont protégés par les lois françaises et internationales du droit d’auteur. Toute reproduction de ces contenus est interdite hors utilisation promotionnelle et médiatique des visuels de couvertures, photos d’auteur et visuels des éléments promotionnels à télécharger (mention du copyright obligatoire).
Hébergeur du site
Scaleway
Liens hypertextes
La Manufacture de livres décline toute responsabilité quant au contenu des informations ou services fournis sur les sites activés par les liens hypertextes et quant aux difficultés que l’internaute pourrait rencontrer pour y accéder.
Loi Informatique et Libertés
Conformément à la loi Informatique et Libertés du 6 janvier 1978, vous disposez d’un droit d’accès et de rectification des données qui vous concernent. Vous pouvez exercer ce droit en vous adressant à La Manufacture de livres. L’éditeur s’engage à ne pas transmettre à des tiers les données personnelles que vous lui communiquez via le site Internet, qui seront utilisées uniquement afin de communiquer avec vous suite à votre demande.
Google Analytics
Ce site n’utilise pas Google Analytics. Point barre.
Données personnelles
Nos engagements
Vos données sont utilisées uniquement pour des finalités explicites, légitimes et déterminées en lien avec notre activité,
Seules les données qui nous sont utiles sont collectées.
Nous ne conservons pas vos données au-delà de la durée nécessaire aux opérations pour lesquelles elles ont été collectées, ou de celles prévues par les normes et autorisations de la CNIL ou par la loi (prescriptions légales).
La Manufacture de livres s’engage par ailleurs à respecter et défendre la charte régionale des valeurs de la République et de la Laïcité.
Utilisation de vos données
Les informations et données personnelles sont recueillies de manière sécurisée et cryptée pour les finalités suivantes :
- envoi de newsletter
- échange dans le cadre de la relation commerciale
Les données à caractère personnel sont conservées pendant une durée réglementaire :
- Prospection : 3 ans à compter de leur collecte.
- Gestion commerciale/fichier client : Le temps nécessaire pour la gestion commerciale.
- Gestion de prospection/fichier client : 3 ans à compter de la fin de la relation commerciale.
Une durée de conservation plus longue est autorisée ou imposée par une disposition légale ou réglementaire. Vous pouvez exercer, dans les conditions prévues ci-après, lun des droits qui vous sont reconnus par la législation.
Vos droits
Droit daccès et de rectification
Conformément aux dispositions légales et réglementaires applicables, en particulier la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés et du règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 (applicable dès le 25 mai 2018), vous bénéficiez d’un droit :
- d’accès,
- de rectification,
- de portabilité et d’effacement des données ou encore de limitation du traitement.
Vous pouvez également, pour des motifs légitimes, vous opposer au traitement des données vous concernant.
Pour mieux connaître vos droits, rendez-vous sur le site de la CNIL : www.cnil.fr/fr/comprendre-vos-droits
Vous pouvez, sous réserve de la production d’un justificatif d’identité valide, exercer vos droits en contactant La Manufacture de livres - 101 rue de Sèvres - 75006 Paris
Le responsable de traitement des informations personnelles est lamanufacturedelivres.com contact@lamanufacturedelivres.com
Vous êtes encore là ?