Richard Hammer & Martin A. Gosch, Lucky Luciano
Biographie
512 pages
a paru le 3 février 2022
ISBN 978-2-3588-7835-7
Richard Hammer & Martin A. Gosch

Lucky Luciano

Testament
Biographie
512 pages a paru le 3 février 2022 ISBN 978-2-3588-7835-7
Biographie
512 pages a paru le 3 février 2022 ISBN 978-2-3588-7835-7

Il est arrivé enfant aux États-Unis, porté par l’American dream, et les a quittés en ponte redouté de la mafia moderne. Lucky Luciano commence sa carrière dans les rues du Lower East Side, avec d’autres gamins qui deviendront ses partenaires de crime. Il fait ses armes dans l’Amérique décadente de la Prohibition aux côtés d’Al Capone, Vito Genovese, Joseph Bonanno, Meyer Lansky ou Nucky Johnson. Visionnaire, Luciano veut s’émanciper des règles morales de la mafia traditionnelle : une détermination sanglante qui l’a hissé à la tête des cinq familles de Cosa Nostra. La Seconde Guerre mondiale accroît sa puissance : il est aux commandes des ports américains, lieux clés de l’effort de guerre, et va jusqu’à collaborer avec les services secrets lors de l’invasion de la Sicile en 1943. Après la guerre, alors au crépuscule de son existence, il dirige la grande expansion du trafic de stupéfiants et du crime organisé en s’alliant avec les mafias italiennes, corses et marseillaises.

Sa vie tumultueuse et son témoignage sur les grandes heures de la mafia, relatés dans ces mémoires, ont inspiré de nombreuses fictions, y compris Le Parrain de Mario Puzo et Francis Ford Coppola et Il était une fois en Amérique de Sergio Leone.

  • Né en 1928, Richard Hammer est un journaliste et auteur américain. Il a remporté plusieurs distinctions prestigieuses pour son travail d’investigation.
    Martin A. Gosch est un producteur hollywoodien. Proche de Lucky Luciano, il l’avait embauché comme consultant pour un film sur la mafia américaine qui ne vit jamais le jour.
  • Revue de presse
    Il n’y a pas de débat, c’est un indispensable.
    Le livre le plus précis et authentique qui inspira tous les grands films et romans consacrés à la mafia américaine.
    Chronique intégrale
    La saga que nous raconte Luciano est devenue tellement connue, à force de livres, de films et de documentaires, que se plonger dans cette lecture offre une petite musique que tous ceux qui ont aimé Le Parrain, l était une en Amérique, ou bien d’autres films, ne pourront qu’apprécier.
    Au programme, trafic d’alcool, braquages et règlements de comptes. Yahoo !
    Des années folles aux années 1960, le livre retrace la vie d’une légende de la pègre mondiale, Luciano ayant aussi servi de modèle au personnage du Parrain de F.F. Coppola.
  • téléchargez l’extrait

    Au début de l’année 1961, Charles Luciano, dit «Lucky» Luciano, prit une décision. Il avait alors soixante-trois ans et avait consacré près de la moitié de sa vie à des activités criminelles, dont une bonne partie comme chef suprême du crime organisé américain ; il avait même conservé ce titre durant ses quinze années d’exil en Italie. Mais en ce début de 1961, sa situation était précaire. Son état de santé l’inquiétait: il avait déjà été victime d’une crise cardiaque. Et, voilà maintenant que ses anciens amis et associés restés aux États-Unis se faisaient de plus en plus menaçants.

    Ce qui préoccupait le plus Luciano, c’était l’image qu’il allait laisser à la postérité ; il ne voulait pas qu’elle corresponde aux portraits que l’on avait brossés de lui dans le passé, et qu’il considérait comme étant peu ressemblants et déformés. Il voulait qu’un jour la vérité sur sa vie apparaisse au grand jour, ses ambitions et la manière dont il les avait satisfaites, ses crimes, les hommes qu’il avait connus ou fréquentés. Il ne voulait pas que tout ceci soit dit à ce moment-là, mais plus tard, lorsque la justice ne pourrait plus lui demander des comptes, à lui-même et à ceux qui avaient été mêlés de près à sa vie. Peut-être cette décision était-elle dictée par l’amertume. Au cours des derniers mois, il avait directement participé à un projet de film vaguement inspiré des dernières années de sa vie. Malgré toutes les prières et les supplications qu’il avait reçues pendant des années de la part des producteurs de films, c’était la première fois qu’il donnait son accord à un tel projet et qu’il acceptait d’y participer. Le 18 février, il avait lu le scénario, l’avait approuvé et s’était engagé à faire tout ce qui était en son pouvoir pour aider à sa réalisation; en échange, il devait recevoir cent mille dollars et toucher un pourcentage sur les bénéfices. Ce jour-là, il avait pris deux exemplaires du scénario, en avait envoyé un à Hollywood, à un acteur à qui il avait proposé d’incarner son personnage, et avait gardé l’autre.

    Quelques jours plus tard, cependant, il devait recevoir des nouvelles qui n’avaient rien de rassurant. Tommy Eboli était à l’époque chargé de gérer les diverses affaires illégales de Vito Genovese pendant que celui-ci purgeait une peine de prison aux États-Unis pour trafic de stupéfiants. Il était arrivé à Naples, porteur d’ordres en provenance de New York. Les pontes du crime organisé américain avaient décrété que le film ne devait pas se faire.

    Luciano ne pouvait que se plier à leurs exigences. Il téléphona à Martin Gosch, l’un des auteurs de ce livre, co-scénariste et coproducteur du film en question, et lui demanda de revenir en Italie. Gosch se trouvait à Londres, où il s’était rendu pour régler des questions de droits annexes rattachés au projet Luciano.

    — Peux-tu venir me voir ? demanda Luciano. Il faut que je te parle, Marty.

    — Charlie, tu sais que je suis très occupé ici. Qu’y a-t-il de si important ? demanda Gosch.

    — Je ne peux pas parler au téléphone. Crois-moi, Marty, il le faut. Peut-on se rencontrer à Rome ?

    — Quand ?

    — Eh bien…

    Il y eut une pause

    — Peux-tu venir tout de suite ?

    Gosch savait qu’il devait s’être produit un événement vraiment important, et, dans son esprit, cela signifiait la fin du projet de film :

    — Il y a une chose que je veux savoir, dit-il, est-ce que quelque chose cloche en ce qui concerne le film ?

    — Oh non ! Rien n’est changé pour le film. Tout va bien de ce côté-là. Mais je dois te voir tout de suite. Je t’expliquerai quand tu arriveras.

    Le lendemain, 26 février 1961, à midi, Gosch était à Rome et rencontrait Luciano à l’hôtel Quirinale. Ils n’y restèrent pas. Luciano prit les valises de Gosch et le reconduisit à l’aéroport. Ils firent la plupart du chemin en silence. Une fois arrivés à l’aéroport, ils se rendirent au restaurant, où Luciano commanda un plat de spaghettis molto al dente. Gosch but du thé et regarda Luciano manger lentement et avec application. Son repas à moitié entamé, Luciano leva les yeux.

    — Marty, dit-il, peux-tu annuler le film?

    Gosch avait beau s’y attendre, ce fut tout de même un choc :

    — Non, bon Dieu ! Je ne peux pas laisser tomber cette affaire. Pourquoi le ferais-je, après tout l’argent que j’y ai investi ? Je ne comprends pas ce qui te prend. Il faut que tu me donnes une explication valable si tu veux que je te réponde.

    — Marty, je ne peux pas t’expliquer. Je crois qu’il faut que tu laisses tomber le film.

    Luciano parlait d’une voix calme et détachée, et cela eut le don d’exaspérer Gosch.

    — Charlie, tu es censé être un homme pour qui la parole donnée est une chose sacrée. On m’a rebattu les oreilles de «Charlie Lucky a promis», «Charlie Lucky a dit», «Charlie Lucky a garanti». Tu te vantes toujours de ne jamais manquer à ta parole, et voilà maintenant que tu manques à celle que tu m’as donnée, à moi pour qui tu prétends avoir tant d’affection. Ne m’as-tu pas dit hier soir au téléphone que le projet n’était pas remis en question? Tu m’as menti, Charlie. Tu as manqué à ta parole. Comment veux-tu que je te croie à présent ?

    Gosch fut stupéfié par la réaction de Luciano. On aurait cru que quelqu’un venait de le frapper. Son visage était inondé de larmes. Au bout d’un moment, il dit d’une voix qu’il s’efforçait de rendre normale:

    — Marty, je vais te donner quelque chose à lire. Je veux te prouver que c’est en toi que j’ai confiance et que je ne fais que ce que je dois faire.

    Luciano sortit une feuille de papier blanche pliée en deux de la poche intérieure de sa veste et la tendit à Gosch.

    « Cher Charlie, nous avons décidé que le film que tu veux faire tombe assez mal en ce moment, pour toutes les raisons que tu sais. Le Petit Gars ne serait pas content du tout si tu décidais de passer outre. Alors tu ferais mieux de laisser tomber. »

    Le mot n’était pas signé.

    — Comment as-tu reçu ça ? demanda Gosch.

    — Un gars me l’a apporté de New York il y a une semaine.

    Gosch avait appris beaucoup de choses sur Luciano au cours des derniers mois, et il savait qui était le Petit Gars: Meyer Lansky.

    — Pourquoi Meyer Lansky essaierait-il de me dissuader de faire la Lucky Luciano Story? Bordel, il peut lire ce scénario d’un bout à l’autre sans y trouver une ligne qui le concerne de près ou de loin. Non, mon vieux, il faudra qu’ils me butent pour que je renonce à ce film. Ces mots pleins de panache paraissent avec le recul un peu ridicules.

    — Il n’y a pas que toi qui risques de te faire tuer, dit Luciano avec le plus grand sérieux. D’abord ils me tueront, puis ce sera ton tour, et peut-être celui de quelques autres. Je suis bien placé pour le savoir. Ces gars-là ne rigolent pas.

    — Tu veux dire que si je refuse d’abandonner ce film, qui n’est qu’un film, nous sommes vraiment en danger de mort ? Dis-moi la vérité, Charlie, parce que c’est la seule chose qui pourrait me faire renoncer.

    — Marty, je n’ai pas besoin de réfléchir. Je peux te répondre tout de suite. Je les connais. Si tu refuses, je peux me considérer comme mort. Et toi aussi, sans doute.

    Puis Luciano se tut un instant.

    — Marty, dit-il enfin, je vais tout te raconter. Mais avant, je veux te poser une question. Si tu abandonnes ce projet de film, comme tu es obligé…

    — Minute ! J’ai un associé à New York.

    — Je sais. Je vais te donner un message que tu lui transmettras. Dis-lui que je suis désolé, mais que le film doit être décommandé. Dis-lui que c’est indépendant de ma volonté et qu’un jour peut-être je lui revaudrai ça d’une façon ou d’une autre. Dis-lui que je ne veux pas qu’il utilise le scénario. Sois très net sur ce point. Et maintenant je veux te parler de toi, de toi et de personne d’autre. Ce que je veux te demander ne regarde que nous deux. C’est pour ça que je t’ai demandé de venir. Marty, est-ce que tu accepterais que je te raconte l’histoire de ma vie ?

    Gosch était trop étonné pour pouvoir répondre. Luciano poursuivit :

    — C’est sérieux. Ça fait trois jours que j’y pense. Je suis arrivé au point où quelqu’un doit savoir la vérité sur moi. Je veux que quelqu’un connaisse l’histoire de ma vie.

    La première réaction de Gosch fut de refuser. Luciano et lui s’étaient rencontrés pour faire un film, un film essentiellement de fiction, et il n’était pas sûr de vouloir en savoir plus sur le compte du gangster américain en exil. Mais Luciano insista :

    — Marty, je voudrais que tu le fasses.

    — Pourquoi moi ? Si c’est pour faire de moi le dépositaire de tes secrets, c’est une responsabilité terrible.

    — Comme je te l’ai déjà dit, tu es la seule personne qui ne soit pas du milieu et en qui j’aie confiance.

    — Eh bien, pourquoi ne te confies-tu pas à Pat Eboli ou à quelqu’un qui te soit vraiment proche? C’est à l’un d’eux que tu devrais raconter la vérité sur ta vie.

    — Ils ne sont pas écrivains.

    — Tu veux que j’écrive ton histoire ?

    — Ouais. Mais à une condition.

    — Tu te paies ma tête, Charlie.

    — Je te jure que non. La seule condition, la voilà : je te dirai tout. Je ne cacherai rien. Mais il faut que tu me promettes de ne rien publier, même en partie, pendant dix ans. Et je veux dire dix ans après ma mort.

    — Allons, allons, dit Gosch, à part ces pilules à la nitroglycérine que tu avales toutes les cinq minutes, tu te portes comme un charme. Tu fais très attention à ton cœur et il y a neuf chances sur dix pour que tu vives plus longtemps que moi.

    Luciano secoua la tête :

    — Non, si tu écris la véritable histoire de ma vie, ça pourra vous rapporter un revenu régulier, à Chip et à toi. Je crois que tu devrais accepter. Tu n’as pas besoin de me répondre tout de suite, mais j’aimerais autant.

    — Charlie, si je deviens ton Boswell…

    — Qui c’est, ce mec-là ?

    Gosch expliqua.

    — O.K. Tu es mon Boswell. Te voilà nommé officiellement. Mais il y a une dernière condition: tu ne dois rien publier de ce que je t’aurai raconté si Tommy Lucchese est encore vivant, même si les dix ans ont passé. C’est vraiment un bon ami et je ne veux pas lui attirer des ennuis.

    — Écoute, dit Gosch. En ce moment, tu es furieux. Mais es-tu vraiment sûr que tu veux que tout le monde connaisse tous les détails de ta vie ? Un type t’a apporté un message ; ils essaient d’empêcher que le film se fasse ; ils t’ont coupé les vivres et t’ont menacé. En ce moment même, tu en veux au monde entier. Reparlons-en demain, tu auras peut-être changé d’avis.

    — Non, Marty, dit Luciano. J’y ai beaucoup réfléchi, et ma décision est prise.

    Ce jour-là, en début d’après-midi, à la mezzanine du restaurant de l’aéroport de Rome, le marché fut conclu. Au cours des dix mois qui suivirent, Luciano raconta en détail l’histoire de sa vie à Martin Gosch, et ce dernier se trouva près de lui au moment de sa mort.

    Ce qui suit est, par conséquent, l’histoire de Luciano telle qu’il l’a lui-même racontée. L’histoire du crime organisé, de sa genèse, de son évolution et de sa prospérité, racontée par celui qui en fut le chef. Certains passages sembleront le présenter sous un jour par trop avantageux, et en effet c’est peut-être le cas. Le livre est souvent virulent, injurieux et même diffamatoire, mais c’est ainsi que Luciano voyait les choses. C’est avant tout l’histoire d’une organisation et de l’homme qui prenait les décisions et donnait les ordres.