Arnaud Friedmann, L’Invention d’un père
Roman
226 pages
a paru le 4 avril 2024
ISBN 978-2-3855-3068-6
Arnaud Friedmann

L’Invention d’un père

Roman
226 pages a paru le 4 avril 2024 ISBN 978-2-3855-3068-6
Roman
226 pages a paru le 4 avril 2024 ISBN 978-2-3855-3068-6

Cet enfant, il l’avait désiré et pourtant, à quelques jours de l’accouchement, il avait fui. Incapable d’en faire plus, de devenir père. De sa fille, il ne connaissait que le prénom, le jour et l’heure de naissance, reçus par texto. Mais il a appris qu’il ne serait pas question pour lui de faire des projets d’avenir. « Fulgurant », lui a dit le médecin en parlant de sa maladie. Il n’a plus que quelques mois à vivre, quelques mois pour être père. Alors il va aller chercher le bébé, l’enlever. Dans une baraque perdue au milieu des bois, il se cachera avec elle et s’inventera père.

Avec ce roman bouleversant, Arnaud Friedmann raconte la folie d’un homme qui tente de racheter ses erreurs et de transmettre l’essentiel avant qu’il ne soit trop tard. Loin du monde, dans une cabane qui a un air de paradis perdu autant que de masure, un homme et sa fille cheminent au bord du gouffre.

  • Arnaud Friedmann est né en 1973 à Besançon. Après des études de Lettres et d’Histoire, il a travaillé dans la fonction publique et dirigé une structure liée à l’emploi dans les Vosges. Il est également propriétaire associé de la librairie Les Sandales d’Empédocle à Besançon. La Femme d’après est son septième roman.
    • Arnaud Friedmann, La Femme d’après
  • Revue de presse
    Un livre aux accents sombres, autour des questions de la paternité et de la transmission. Arnaud Friedmann s’emploie à dérouter, à brouiller les pistes, à proposer tous les possibles, pour inviter chacun au final à choisir sa propre version de l’histoire.
    Arnaud Friedmann raconte cette Invention d’un père, journal intime d’une odyssée tragique, sans pathos ni jugement moral, un récit infiniment triste autant qu’absolument déchirant.
    Arnaud Friedmann explore, dans ce huis clos en forêt, la complexité des liens familiaux. 
  • Il se penche sur le berceau de Béatrice. Il la regarde. Il a l’impression d’avoir passé sa vie à la regarder ainsi, à s’être tenu penché au-dessus d’elle. Il s’attarde au haut de la nuque, aux cheveux rendus poisseux par la chaleur de l’été. La lumière des réverbères s’infiltre entre les interstices des volets, baigne le front de l’enfant. Le tissu du vêtement se soulève imperceptiblement : en se concentrant sur la respiration de Béatrice il peut percevoir son souffle, à intervalles réguliers.

    Dans un mois il sera mort.


    JUILLET

    En sept mois rien n’a changé. Ni l’immeuble en face de lui, ni le tracé des parkings le long du trottoir. Malgré l’obscurité, les douleurs dans tout le corps, il effectue son créneau sans devoir s’y reprendre, comme s’il n’avait jamais cessé de garer sa voiture à cet endroit. Il demeure longtemps dans l’habitacle, pupilles focalisées sur les fenêtres du cinquième pour être certain de ne déceler aucun mouvement derrière les vitres. Enfin il sort, prenant garde à faire le moins de bruit possible. Il rabat sur son crâne la capuche du sweat dans lequel son corps flotte, monte les marches des escaliers extérieurs sans cesser de fixer les fenêtres. La plus grosse clef ouvre la porte du hall. Il ne se préoccupe pas des boîtes aux lettres fixées au mur, n’attache aucune importance au fait de savoir si Nathalie a supprimé son nom, ou ajouté celui de Béatrice. Sa seule appréhension concerne la serrure de l’appartement. Il appuie sur le bouton de l’ascenseur, se surprend à ressentir une telle familiarité pour l’intérieur de la cabine, l’odeur de poussière qu’elle dégage. Il appuie sur la touche 5, comme il l’a fait pendant trois ans. Il baisse les paupières pour ne pas surprendre son reflet dans le miroir.

    Maintenant il avance dans le couloir. Que se passerait-il si un voisin sortait ? Si Nathalie se matérialisait devant lui ? L’angoisse le fait vaciller, il reprend son équilibre en s’appuyant au mur. Il aurait dû prendre l’opinel dans la boîte à gants, ça l’aurait rassuré. Il ne faudra pas qu’il l’oublie lorsqu’il reviendra. La seconde clef, la plus petite, tremble entre ses doigts. Allez, s’encourage-t-il, tu l’as fait si souvent. Il attend que la lumière du couloir s’éteigne, de longues secondes alors que celles qui lui restent sont comptées. Enfin le noir survient. Économisant ses gestes pour déjouer la vigilance du détecteur de mouvement, il enfonce la clef dans la serrure. Elle n’a pas été changée depuis son départ.

    Est-ce qu’elle l’entend ? Est-ce qu’elle l’attend, debout et droite et livide derrière la porte, ivre de sa colère légitime ? Est-ce qu’elle aussi a pensé à un couteau pour défendre sa fille ? Bien sûr. Nathalie pense à tout. Nathalie anticipe tout. Avait-elle deviné qu’il disparaîtrait, le 22 décembre dernier ? Il se revoit au même endroit, retenant la poignée avec toute la lenteur dont il était capable, s’empêchant de courir dans le couloir, rongeant son frein dans l’ascenseur trop lent et trop bruyant.

    À rebours de ce souvenir il pousse la porte vers l’intérieur de l’appartement. Nathalie n’est pas là. Nathalie ne se tient pas debout face à lui. Nathalie dort dans le lit qui fut le leur sans se douter qu’il est revenu. Qu’ils forment enfin une famille, le père, la mère et Béatrice, dans l’appartement qui aurait dû être le leur. Il connaît la position du corps de Nathalie figé par le sommeil, l’angle formé par son avant-bras, le poing qu’elle ramène contre le cou aux premières heures de son endormissement.

    Il fixe la porte derrière laquelle dort Béatrice. Elle, il n’a aucune idée de la manière dont elle dort. Son cœur se met à battre si fort qu’il lui semble que les voisins pourraient l’entendre. Ou Nathalie. Il recule, quelques pas en direction du couloir, pose la paume sur la commode de l’entrée. Un temps, à nouveau trop long, puis enfin il se calme.

    Voilà. Il suffira dans une semaine de reproduire les mêmes gestes ; d’en ajouter quelques-uns. Il les fait advenir mentalement, avec une précision telle qu’il pourrait croire qu’il les vit. Il sent même dans sa main la présence de l’opinel.

    Pour cette fois, c’en est assez.

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