Richard Schittly
L’Histoire vraie du gang des Lyonnais
Flics contre voyous : jamais dans l’histoire du banditisme français cette éternelle confrontation n’aura pris de telles proportions. Entre 1967 et 1974, le gang des Lyonnais totalise plus de cinquante coups dont un particulièrement mythique : le vol d’un milliard à la Poste de Strasbourg. Côté voyous, le gang des Lyonnais a porté le braquage au rang de science appliquée. Dans cette équipe, c’est l’alchimie détonante entre les anciens, marqués par la guerre d’Algérie, et les modernes, sortis d’un quartier populaire de la banlieue lyonnaise. Côté flics, on expérimente pour la première fois la pause de micros dans les planques des Lyonnais. Les autorités mettent en place une mécanique hors norme pour les arrêter avec une opération qui mobilise neuf cents fonctionnaires. Mais ces insaisissables bandits réussissent à passer à travers les mailles du filet…
Luttes intestines, stratégies criminelles et policières, traque, Richard Schittly, dans cet ouvrage unique, révèle les dessous de cette affaire qui bouleversa les rapports entre justice et police en France.
- Correspondant du Monde à Lyon, ancien reporter au service Justice faits-divers du quotidien Le Progrès de Lyon, Richard Schittly est un familier des bureaux des policiers et hommes de lois lyonnais. Il a côtoyé professionnellement Michel Neyret durant quinze ans.
- Revue de presseUn vrai régal pour les amateurs de témoignages de première main sur la petite histoire du grand banditisme.Luttes intestines, stratégies criminelles et policières, traques, l’auteur révèle les dessous de cette affaire qui bouleversa les rapports entre justice et police en France.
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Momon et le Docteur sont passés par le toit/Un milliard en cinq minutes/Les enquêteurs sont intrigués par un sachet de Treets/Retour en apesanteur dans une citerne/Aux dernières nouvelles, ils sont huit dans ce hold-up irrésolu
— Tu vois la lucarne ?
— C’est haut.
— On peut passer par le toit.
— T’as raison, on peut essayer.
— T’as compris, à l’intérieur on va se payer une petite balade, incognito.
Le Docteur a la science de la cambriole. Il n’a pas son pareil pour flairer le bon coup à des kilomètres à la ronde. Voilà plus d’un an qu’ils repèrent les lieux. Qu’ils rôdent à tour de rôle autour de la poste centrale de Strasbourg. Ils ont tout noté, chronométré. L’arrivée des postiers par la cour intérieure. Le passage des sacs. Le départ des policiers. Le plan de la ville, les points de relais. La cavale aussi. Le long chemin du retour par des voies indétectables. Un an de boulot. Ce coup-là doit réussir. Ne rien laisser au hasard.
Momon le jeune gitan n’a même pas peur. Depuis le temps qu’il s’est forgé un caractère à toute épreuve dans les faubourgs lyonnais. Depuis le temps que le gang des Lyonnais place la barre toujours plus haut. Avec le Docteur, c’est la confiance totale. Alors oui, cette petite lucarne est une rudement bonne idée. Ils s’équipent de cordages. Ils reviennent dans une des cours intérieures, à la nuit tombée. Les deux hommes grimpent sur le toit glissant de la grande poste. Les voilà au sommet. Mélodie en toiture. Momon descend en rappel. Il franchit la lucarne, entre, ouvre une porte de service. Les deux explorateurs sont dans la bergerie. Un dédale de bureaux, de couloirs. Ils mémorisent les lieux avec une précision de géographes. Au premier étage, voici la chambre forte, le Graal. Celle-là, pas la peine de l’attaquer au chalumeau. Le temps des ancêtres est révolu. Il y a mieux, plus rapide, plus rentable. Intercepter la cargaison de fric avant que la porte ne se referme. La visite continue. Plus loin, un escalier tombe sur une porte condamnée. On entend la rumeur de la ville, juste derrière.
— T’y crois toi ?
— La serrure, c’est du gâteau.
— Et si on sortait par là ?
— C’est trop simple.
— Pourquoi faire compliqué.
Le Docteur et Momon ont trouvé la solution. Le truc qui manquait. Le petit détail qui fait toute la différence. Il suffisait d’ouvrir les yeux. Une fois le pactole braqué, la porte de sortie est tout indiquée. Il ne reste plus qu’à convaincre Gros Jeannot. Avec sa façon de refaire la guerre d’Algérie, il était prêt à faire péter de l’explosif dans la rue pour faire diversion. Là, franchement, c’est la méthode douce, efficacité assurée, risques limités. Réunion, discussions, conciliabules dans la planque fournie en ville par le grand patron. Le groupe finit par se ranger à la trouvaille du duo d’alpinistes. Bon, il reste à changer la serrure, discrètement. Ça, ce n’est pas un problème pour le Docteur. Un petit casse dans une serrurerie du coin, sans laisser de trace sur le registre du magasin. Ne rien laisser au hasard. Retour sur les lieux. La serrure est en place. Il faudra la vérifier. Tout est noté, pensé. Un an de boulot. Maintenant, il faut compter les troupes. Le parrain s’impatiente. C’est lui qui a évoqué le coup pour la première fois, dans sa villa des Monts d’Or. Avec ses grands airs de conspirateur, cul et chemise avec les politiciens. La scène tenait du Coppola. Lui, en maître de cérémonie, au bout de la grande table, la parole définitive. Autour, ses fidèles lieutenants, aux mines burinées de mercenaires. Et les nouvelles recrues, dans leurs petits souliers. Il a insisté sur la date. Le 30 juin. C’est la fin du mois, la fin du semestre. C’est le jour des rentes et des allocations, versées en liquide. Ce jour J, la Poste est blindée pour arroser tous les bureaux de la région. Gros Jeannot a été bombardé commandant des opérations. P’tit Nicolas s’est vu nommer chauffeur. Un poste de confiance qui va comme un gant à ce caïd au sang-froid. Gros Jeannot a pensé embarquer avec lui son pote « Nimbus ». Pas de peau, il s’est cassé la jambe. Le Lyonnais Roland a pu le remplacer. Il a déjà travaillé avec les anciens. Momon a invité son ami François le Marseillais. Ils se sont connus en conditionnelle, l’année dernière dans la région de Mulhouse. Ils ont tapé ensemble, dans une entente parfaite. Deux autres personnages complètent l’équipe en invités occasionnels. Originaires de Tarare et de Grenoble, ils sont dans le giron du parrain. Le parrain justement, il n’a pas oublié d’édicter la consigne en vigueur : la moitié du butin pour sa poche. Et pour ses relations hautes placées à n’en pas douter. On n’a pas fini d’en entendre parler. Tout est prêt. Le gang des Lyonnais peut écrire une des plus fameuses pages du banditisme français.
Strasbourg, mercredi 30 juin 1971, 8 h 55. Des gars en blouses blanches investissent discrètement la poste centrale de la capitale alsacienne. Ils montent au premier étage, sacoches en bandoulière. On dirait des ouvriers affairés. Personne ne remarque leurs postiches. Cinq membres de l’équipe se répartissent dans le long couloir qui mène à la chambre forte. Ils semblent tranquillement réparer un circuit électrique. Au même moment, cinq employés de la poste sont allés chercher un gros paquet d’argent liquide à la banque de France. Ils ont enfourné huit sacs en toile, grand modèle, dans leur fourgon blindé. Comme d’habitude, les postiers sont escortés d’un équipage de police urbaine. Le convoi parcourt cinq cents mètres, de la banque à la poste, selon un itinéraire invariable. Le pactole passe le Pont du Théâtre, remonte l’avenue de la Marseillaise et, comme d’habitude, emprunte la rue Wencker pour atteindre une entrée latérale du grand bâtiment de style néogothique. Le convoi passe sous un porche et s’immobilise dans la cour intérieure de l’hôtel des postes. Là, les policiers surveillent le transfert des sacs sur un chariot roulant. La routine. Ils saluent les postiers et font demi-tour. Les fonctionnaires de police ne sont pas autorisés à pénétrer les locaux postaux. Chaque administration garde jalousement ses prérogatives. On ne badine pas avec le règlement intérieur. Au revoir, à demain.
9 h 05. Quatre postiers passent une porte grillagée. Ils poussent le chariot dans un long couloir. Quarante-sept mètres, en direction du service caisse. Ils croisent trois ouvriers. Ils remarquent à peine deux autres silhouettes au bout du couloir. Ils discutent, de tout, de rien, comme d’habitude. Ils ont peut-être entendu parler à la radio, ce matin-là, du funeste retour de la mission soviétique Soyouz II. Après vingt-quatre jours en apesanteur, trois cosmonautes se sont posés à l’aube au Kazakhstan, Dormeurs du Val en combinaisons blanches. Ils ont été victimes d’une dépressurisation, sacrifiés sur le front spatial de la guerre froide.
— Couchez-vous !
Les postiers sont tétanisés. Des gros calibres sont pointés sur eux. Le temps se dilate dans une éternité incrédule. C’est un rêve, un film ? Qu’est-ce qui déraille dans l’ordonnancement quotidien, d’un coup comme ça, sans prévenir ? Une voix insiste : « Il ne vous sera fait aucun mal. »
Un cri retentit. La réalité s’impose. C’est un hold-up. Un agent fuit, un autre reçoit un coup de crosse. Troublés par l’agitation, des employés entre-baillent la porte de leurs bureaux. Ils jettent un regard interdit dans le couloir. Juste le temps de voir s’éloigner le chariot. Le pactole a changé de mains. Deux gangsters assurent la couverture, armes au poing. Le chariot bifurque à gauche et disparaît. Les faux ouvriers dévalent un escalier. Ils franchissent une porte grillagée. Et passent la porte A, à gauche de l’entrée principale. Ils se retrouvent rue de la Marseillaise. À cet instant, une Estafette de marque Renault se positionne devant la porte. Les sacs en toile sont chargés par la porte coulissante. Un témoin voit partir la fourgonnette. Il distingue un fusil à canons superposés, pointé par la porte arrière entre-ouverte. C’est fini. Le coup a duré moins de cinq minutes. Pour un butin phénoménal : 11,6 millions de francs. Plus d’un milliard d’anciens francs. Un record. En francs constants convertis en monnaie européenne, on n’est pas loin des 13 millions d’euros.