Anne Bourrel
Le Dernier Invité
C’est le matin de son mariage et la Petite se réveille avec en elle une colère sourde, une colère venue du passé et qui ne s’efface pas. Peu lui importe le compte à rebours des préparatifs, les fleurs, la robe… Ce qui a de l’importance pour elle, c’est sa famille rassemblée et surtout ce dernier invité, le cousin, qui réapparaît avec sa rancœur d’un héritage perdu. Mais même si l’on partage le même sang, il y a des choses qui ne se disent pas. Quoi que l’on ait fait, quoi que l’on ait dit, certaines vérités doivent rester ensevelies car l’ordre de la famille, ça se préserve.
Anne Bourrel, dans ce nouveau roman poétique et poignant, nous livre page à page les secrets d’une famille dont l’apparence ordinaire cache les plus sombres fureurs.
- Née à Carcassonne, Anne Bourrel vit à Montpellier. Romancière, nouvelliste, dramaturge, elle écrit aussi de la poésie et propose des performances de lecture. Elle est l’autrice de quatre romans publiés à La Manufacture de livres dont le tout dernier Le Roi du jour et de la nuit.
- Revue de presseUne famille dont l’apparence ordinaire cache les plus sombres fureurs.Un livre vraiment fort, dont on ne sort pas indemne.
L’émission complète - Un beau roman noir, au compte à rebours haletant, une écriture poétique et furieuse.Noirceur magnifique et très belle découverte.Peu à peu, le lecteur plonge dans un passé très sombre…Dès le début, le lecteur pressent le drame. Le point de vue des protagonistes nous égare entre bien et mal, avant la scène finale…Dans un décor paradisiaque, l’enfer s’invite. Et les heures qui nous séparent de la cérémonie donnent naissance à un sombre et magnifique roman.On ressort complètement sonné mais hilare de ce feu d’artifice d’humour, et finalement très troublé par cet acte étrange, un peu fantastique, qu’est la lecture, qui nous fait croire à l’incroyable !
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C’est le matin de son putain de mariage qu’elle s’est retrouvée avec ça : cette colère. Dans la pénombre de la chambre, des traits de lumière tombent à l’oblique sur le plancher blond. La fenêtre est restée ouverte. L’odeur des bergamotiers est là, encore. Éprouvante pour les nerfs.
La Petite rabat draps et couverture d’un geste sec. Xavier ne bouge pas d’un cil. Elle aurait préféré se pelotonner contre ce corps alangui. Elle aurait aimé faire une grasse matinée, profiter. Un jour pareil, tout de même. Un jour pareil.
Elle enfile ses vêtements en vitesse : slip, brassière de sport, short, T-shirt. Des tatouages colorés recouvrent ses bras, ses épaules, ses jambes et son dos. Elle est fine, musclée. Une athlète.
Ça vibre en elle. Ça fait un bruit sourd. Et sa colère bouillonne. Xavier dort sur le dos, bouche ouverte.
Elle ouvre le placard du couloir. Ses mouvements sont brusques, ses mâchoires serrées. Dans sa tête, un soukhoï : sa rage qui éclate.
Elle glisse pieds nus dans ses baskets, fait les lacets comme on jure. Le rouge de ses cheveux flamboie, même dans la pénombre.
Dehors, le soleil se brise en mille morceaux. L’odeur des champs de bergamotes prend au nez. Les cigales crissent pour la première fois. Une dizaine tout au plus, clipées par leurs élytres à l’écorce moelleuse des pins.
La Petite cligne des yeux et grimace et regrette de ne pas avoir pris sa casquette mais la retrouver dans le tas de ses affaires entassées, même pas la peine. Elle rangera, plus tard, après le mariage.
Un pli vertical barre son front.
Des mains invisibles déchirent lentement une feuille de papier. Ça bruisse et ronronne dans sa tête comme la ventilation mécanique de l’hôtel rue Claire Paulhiac, celui où elle descend toujours avec Xavier lorsqu’elle l’accompagne à la réunion annuelle de la banque.
Les cigales tout à coup semblent plus nombreuses et leur stridulation scie le silence du lotissement qui s’éveille. Le srisrisri insupportable des insectes se mêle, se tisse et se confond avec le bruit de papier.
C’est moi qui me déchire, elle pense.
Il doit être sept heures et demie. Huit heures, au plus tard. C’est la fin du mois de mai, le printemps se déploie, l’été arrive. Déjà.
Elle branche les écouteurs à son Smartphone. Elle a du mal à voir l’écran, le soleil l’éblouit.
Une main en visière, elle finit par retrouver la playlist qu’elle cherchait. Celle qu’elle préfère lorsqu’elle veut courir vite. Les premières notes s’élèvent alors qu’elle prend son élan. Les guitares gémissent, elle court.