Antonin Varenne, Dernier tour lancé
Roman
416 pages
a paru le 4 mars 2021
ISBN 978-2-3588-7729-9
Antonin Varenne

Dernier tour lancé

Roman
416 pages a paru le 4 mars 2021 ISBN 978-2-3588-7729-9
Roman
416 pages a paru le 4 mars 2021 ISBN 978-2-3588-7729-9

Julien Perrault a tout perdu en percutant deux de ses concurrents sur le circuit du Mans. Lui qui avait été le prodige du Grand Prix Moto est devenu le paria, « l’assassin ». Mais un sponsor sulfureux propose au jeune homme de revenir sur le devant de la scène. Courir de nouveau. Seulement, son retour sur les circuits, Julien ne l’envisage plus seul. À ses côtés, dans l’équipe qui le préparera à la course, il comptera sur la psychiatre qui le suit depuis son accident, son père qui a construit ses premières motos et ce peintre un peu fou devenu son ami. Trois soutiens des plus atypiques au cœur du grand cirque qui se prépare.

Dans ce nouveau roman plein de fureur, Antonin Varenne dresse le portrait d’un homme prêt à payer n’importe quel prix pour aller au bout de sa passion, être fidèle à lui-même, égoïstement et sans limites.

  • Né à Paris en 1973, Antonin Varenne travaille en Islande, au Mexique et, en 2005, s’arrime au pied des montagnes Appalaches où il décide de mettre sur papier une première histoire. Revenu en France, il s’installe dans la Creuse et consacre désormais son temps à l’écriture.
    • Antonin Varenne, Battues
    • Antonin Varenne, L’Artiste
    • Antonin Varenne, Cat 215
  • Revue de presse
    Avec son nouveau roman, le noir, intime et frénétique Dernier tour lancé, Antonin Varenne se cache derrière plusieurs personnages dont un pilote de moto devenu pestiféré et en quête de rédemption. Une manière d’évoquer son obsession créatrice.
    Un roman plutôt réussi, au style moderne et personnel.
    Le roman d’Antonin est une pure tragédie dont les personnages prennent tous des chemins de traverse pour échapper à leur destin. Sauf Julien. Qui rugit droit devant.
    Dernier tour lancé s’inscrit brillamment dans une lignée d’œuvres littéraires ou cinématographiques consacrées au portrait souvent tragique de sportifs contemporains assimilables à des gladiateurs, peignant des personnages aux destins singuliers qui entament sans le savoir, eux aussi, à leur manière, leur dernier tour lancé.
    Passion, argent, hypocrisie… Tout y est, pour une fiction on est si proche de la vérité, parfois, que ça en devient effrayant.
    Un roman à découvrir où tout est frénésie, folie et obsession. À lire sans répit.
    Aucun stéréotype ici, ni leçon de morale avec, en prime, une écriture très personnelle. Une révélation.
    Antonin Varenne est un poète, un poète sombre et torturé mais un poète quand même.
  • Coup de cœur pour ce roman à 300 à l’heure, à fleur de peau et d’émotion, porté par une écriture vibrante. Des personnages inoubliables ! (Et je n’aime pourtant ni le sport ni la compétition.)
    Antonin Varenne aime nous surprendre et effectivement, on ne l’attendait vraiment pas là ! C’est un roman de bruit et de fureur qui nous plonge dans le monde des requins du business du sport, nous emmène à 300 à l’heure jusqu’au bout.
    Un vrai shoot d’adrénaline !
    Et un grand plaisir de lecture
    Une moto poussée à 354 km/h, une sortie de virage périlleuse puis l’accident. À peine sorti de l’hôpital, Julien Perrault retourne sur le circuit, qui aimante les pilotes jusqu’à la déraison, et les recrache avec de multiples blessures.
    La vitesse, l’adrénaline, les sensations, la folie collent à la peau du lecteur tant les personnages de ce « Dernier tout lancé » sont justes et humains. Même si vous n’aimez pas la moto, vous adorerez ce roman, tel est le pouvoir incroyable de la littérature !
    Julien est un pilote star de moto GP. Il vient de vivre un drame car il est jugé responsable d’un accident qui a tué et blessé deux de ses compétiteurs. Livré à la vindicte, il n’entrevoit qu’une solution pour se reconstruire : faire fi des autres et de ce monde qui le rejette, se dépasser à nouveau et piloter encore plus vite.
    Avec ce roman tendu, furieux et nerveux… Antonin Varenne explore l’âme d’un homme à la « limite » qui a choisi de tout bruler pour vivre. 
    Une allégorie de la vie, et aussi de notre foutue société à deux vitesses. Antonin Varenne + La Manufacture de livres = pas besoin de résumé, foncez ! Foutues drogues ces bouquins…
    Ils sont rares les livres qui parlent de motos GP et encore plus avec suffisamment de talent pour nous immerger dans cet univers même quand on y est a priori totalement hermétique. C’est la force de ce livre : décrire ce milieu tout en y projetant les dérives de notre époque. C’est aussi l’histoire de personnages attachants, perdus et parfois monstrueux qui cherchent à échapper à leurs propres décisions.
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    1

    Lights out

    François Buczek

    Les plafonds étaient éclairés par des ampoules de mille watts. Les murs étaient blanchis à la chaux et à la javel. Le couloir était si grand qu’il se sentait réduit à la taille d’une souris, sortie dans la lumière par le trou d’une plinthe.

    Au milieu du no man’s land hyper blanc, régnait le blockhaus de verre et d’acier des gardiens de nuit, citadelle Vauban inexpugnable, tout en angles d’attaque et mortellement transparent.

    Mais les héros et les toxicomanes ne renoncent jamais.

    Deux options se présentaient pour déjouer la surveillance. Ramper sur le carrelage en attendant le bon moment, ou sortir par la fenêtre du couloir B, courir sur l’herbe entre les massifs et remonter par la gouttière jusqu’à la fenêtre.

    Deux options de guerre indienne, qui portaient en elles les germes de l’humiliation et de la défaite. Mais il avait l’intelligence requise pour cette mathématique du choix.

    Parti de sa chambre entre vingt-trois heures et minuit, un schizophrène paranoïaque rampe devant le box des infirmiers, il atteint une fois la chambre du premier étage, deux fois est pris sur le fait et enfermé trois jours, sanglé à un lit.

    Parti de sa chambre entre vingt-trois heures et minuit, choisissant de passer par la fenêtre du couloir B et le jardin, le même schizophrène atteint une fois la chambre du premier, une seule fois est surpris par le personnel médical, en train de se laver sous un robinet du système d’arrosage.

    Une vérité statistique éclatante : nul gardien n’échappe à la surveillance qu’il exerce.

    Il tourna à quatre pattes dans le couloir B.

    Les voix des infirmiers s’atténuaient à mesure que s’éloignait lepoète.

    Le mépris qu’ils avaient ici pour sa race !

    Il lécha deux fois, de la pointe de la langue, les joints des quatre côtés d’un carreau de carrelage blanc, se gargarisa de salive et de produit de nettoyage antibactérien, puis, immunisé, il ouvrit la fenêtre et sauta dans la bouche de noir.

    Les brins d’herbe trempés de rosée se glissaient entre ses orteils, ses talons s’enfonçaient dans la terre ramollie, il disparaissait dans la vie grouillante. La terre n’était pas plus solide que la surface d’un lac. Les frottements des élytres et des mandibules d’insectes lui emplissaient les oreilles. Il enfonça ses index jusqu’à ses tympans et garda les yeux fermés. Pour faire barrage au parfum de sirènes des plantes, il retint sa respiration et suivit le mur en frottant sa poitrine contre les pierres. Des pas de côté, deux par mètre. Il étouffait, les poumons empoisonnés par le gaz carbonique, quand son coude heurta la descente d’eau pluviale. Le zinc était chaud, pompant la chaleur que les pierres avaient absorbée du soleil. Il ouvrit la bouche, gardant une main sur ses lèvres pour filtrer les miasmes aériens. Il est Vénus protégeant son sexe du souffle de Zéphyr. Il a retrouvé toute sa taille, érection humaine, et lève les yeux vers la fenêtre ouverte.

    Inspirant huit fois entre ses doigts, comme il avait léché huit fois les joints du carrelage - vierge désinfectée -, il agrippa le tube de zinc et serra autour ses pieds nus. Une fois décollé du sol et de ses trillions de bactéries, s’aidant des colliers de fixation, il atteignit le premier étage, continua à monter jusqu’à hauteur de l’appui.

    Tout geste réussi doit être beau.

    Tout geste beau est réussi.

    L’esthétisme chez les poètes remplace l’imagination, leur donne des ailes, sans quoi ils ne peuvent passer sans tomber d’une gouttière à une fenêtre. Surtout, comme il l’était, recouvert par les métaux lourds de la ville, sa flore dermique drapée de plomb. Il avait pris le risque, cette fois, de ne pas se laver au robinet du parc.

    Le linoléum de la chambre était propre et sec.

    Il tira de sa poche de pyjama un flacon de Purell, en versa dans ses mains, se frotta le visage, les avant-bras et la langue. Il s’assit sur le tabouret standard à côté de la table standard, croisa les jambes l’une après l’autre pour nettoyer ses pieds, souplesse de maigre, attendit son rythme cardiaque le plus précieux ; celui qui accorde le cœur et le temps ; 60 bpm ; une pulsation par seconde ; il battait la mesure du pied.

    - Dans les maisons de retraite, on baise à tout va.

    François Buczek, ayant quitté sa chambre à vingt-trois heures trente, réfléchit un instant, le menton dans la main.

    - Dans les hôpitaux, on euthanasie à tour de bras, et dans les cliniques psychiatriques on se défonce comme des dingues.

    Perrault était allongé sur le dos, en sous-vêtements, la peau lisse, claire dans la nuit, les jambes tendues, les mains croisées sur le ventre. Un sarcophage qui dégageait de la chaleur.

    - J’ai traversé des océans d’obscurité pour te trouver, mon ami.

    François Buczek se leva, se pencha au-dessus de Perrault.

    - Tu m’écoutes ?

    Les yeux de Perrault étaient suspendus au plafond par des câbles. Des cordes de piano reliant le plâtre à ses pupilles. Buczek les voyait. Tendues par la volonté de ne pas être là.

    - Tu es comme moi, Julien, tu vois des couleurs là où les autres voient du blanc. C’est douloureux, hein, d’être attaché comme ça à ses visions ?

    Il leva une main vers les cordes de la harpe psychique. Il tremblait. Il voulait en tirer des notes, faire vibrer les globes et les nerfs optiques, faire résonner le cerveau de Perrault.

    - Tu me permets, Julien ?

    Julien Perrault ne cilla pas mais Buczek l’avait vu acquiescer. Parfois on espère que les autres vont comprendre sans que l’on ne dise rien. Quand le désespoir l’emporte.

    - Je vais faire doucement, t’inquiète pas.

    Il frotta les cordes du pouce, écouta, frissonna. Puis de ses dix doigts, les yeux fermés. Il tissait de l’air, inspiré.

    Buczek mit fin à son solo, il pleurait.

    - Qu’est-ce qu’elle est triste, cette musique. On ne peut rien sortir d’autre de ta tête, Julien. C’est une fugue.

    Buczek nettoya ses larmes au Purell.

    - Merci, mais je ne peux pas rester beaucoup plus longtemps.

    Il se pencha sur la table de nuit, en fit glisser le tiroir, passa la main au fond du petit meuble et, l’autre en coupe, il y fit tomber les pilules cachées.

    Il se rassit sur le tabouret, étala le butin sur le formica. L’éclairage du parc suffisait pour trier sa récolte. Il sépara les cachets par taille et couleur.

    - La douleur des uns fait le bonheur des autres.

    Il posa trois pilules sur sa langue, versa dans sa bouche du gel désinfectant, le fit tourner entre ses joues et ses dents, avala la solution.

    - Mais tu sais que ce n’est pas ça, Julien. Je le fais pour toi. Tu as besoin d’aide. Je suis ton ami.

    Il prit sa tête en étau entre ses paumes, passa les doigts dans ses cheveux longs et s’adossa au mur. Les cachets traversèrent l’œsophage.

    - Il faut que tu arrêtes, Julien. Je sais bien que tu ne gardes pas tes médicaments pour moi. Un jour, je n’arriverai pas à venir jusqu’à ta chambre. Ils vont verrouiller la fenêtre et je n’arriverai pas à temps pour liquider ton stock. Tu m’entends ?

    Les cachets avaient atteint l’estomac, décomposés par les sucs. Le grouillement des microbes et des bactéries diminuait, ses acouphènes disparurent.

    - Je crois que j’en ai trop pris. Il vaut mieux que j’attende un moment avant de redescendre.

    Il fixa au plafond le même point que Perrault.

    - T’en as pris aucun cette semaine ? D’un point de vue philosophique, je suis ton disciple. Ici, dès qu’ils trouvent de la douleur, ils veulent t’en débarrasser. C’est une obsession des thérapeutes. Après, en tant qu’ami, il faut que je te dise : je crois que tu caches quelque chose sous ta sagesse.

    Sa langue gonflait, ses lèvres sèches collaient à ses gencives.

    - Mais je ne peux pas le jurer. Vu que je ne suis pas aussi sage. Peut-être même que je suis le contraire de toi. C’est pour ça qu’on est complémentaires. Tu vois quoi là-haut, Julien ? Que voit l’homme le plus rapide du monde que je ne vois pas ?

    Les paupières de François Buczek, violettes, tombèrent sur ses yeux et ne s’ouvrirent plus. Il s’endormit sur le tabouret.

    Il n’entendit pas, à l’aube et dans toute la lumière, la sonnerie du réveil, la porte de la chambre qui s’ouvrait et l’aide-soignant qui apportait le petit déjeuner de Julien Perrault. L’employé de la clinique sortit le téléphone intercom de la poche de sa blouse.

    - Je suis chez Perrault. Buczek est encore là, il dort. Venez le chercher… Perrault ?... Non, il a pas bougé.